culture true crime 2

[Dossier] La culture «True Crime» — partie 2: l’image du meurtrier

Dans la première partie de notre dossier sur la culture «True Crime», nous nous sommes attardés sur la psychologie derrière l’attirance de certaines personnes (pour la plupart des femmes) pour des tueurs en série.

Cette deuxième partie poursuit son observation sur l’image des meurtriers dans la culture populaire en examinant trois volets de plus près: la représentation des tueurs au cinéma et à la télévision, le phénomène des collectionneurs d’œuvres d’art créés par des serial killers et les polémiques ayant marqué la culture True Crime sur Tumblr.

SpongeBob Jeffrey Dahmer
Un exemple typique de meme pour fans de tueurs en série

La faute d’Hannibal Lecter?

Malgré l’idée commune qu’ils sont dotés d’un charisme et d’une intelligence supérieurs, les tueurs en série doivent souvent leur «succès» à la chance, à la négligence et aux failles du système légal. Une étude du Serial Killer Information Center soutient même que la plupart d’entre eux auraient un quotient intellectuel moins élevé que la moyenne. Par exemple, le tueur Gary Ridgway, qui aurait tué entre 49 et 71 victimes entre 1982 et 2001, possédait un QI de 86; Robert Pickton et Henry Lee Lucas présentent d’autres cas de meurtriers aux capacités intellectuels inférieurs.

Pourquoi ce mythe persistant du psychopathe surdoué? D’abord parce que les rares tueurs en série dotés d’un quotient intellectuel supérieur (Ted Bundy, Ed Kemper, Rodney Alcala) captivent davantage l’attention du public, mais aussi parce que cet archétype profite d’une grande visibilité dans la fiction. Le parfait exemple? Hannibal Lecter.

Incarné au grand et au petit écran à plusieurs reprises, avec pour célèbres interprétations celles d’Anthony Hopkins et de Mads Mikkelsen, Lecter est un personnage inventé par l’auteur Thomas Harris. Psychiatre légal de grand raffinement, il se distingue par son intelligence aiguisée, son pouvoir de manipulation, son penchant pour le mélodrame… et son appétit féroce. Amoureux d’opéra et de bon vin, ce cannibale est passé maître dans l’art de cuisiner son plat préféré: un foie humain accompagné de fèves et d’un bon Chianti. Il est assez évident que Lecter n’arriverait sans doute pas à commettre ses meurtres spectaculaires et extraordinairement élaborées dans la vraie vie (surtout quand on pense aux mises en scène élaborées de la série)!

Malgré son invraisemblance, le mythe du tueur au charme et à l’intelligence quasi surnaturels persiste, renforcé par le caractère dramatique de documentaires et de docuséries qui suivent les mêmes codes qu’un film hollywoodien: trame sonore angoissante, montage dynamique avec flash-backs et dramatisations, déploiement de l’intrigue avec révélations punchées, etc. Dans notre imaginaire comme à la télévision, la ligne entre la fiction et la réalité est mince. Dans un épisode de Plus on est de fous, plus on lit!, le doctorant en études cinématographiques Simon Laperrière explique que le tueur en série est un personnage intéressant à exploiter en raison de son extrême marginalité. Contre la morale et la justice, il a pour attrait supplémentaire de ne pas se faire prendre. Ajoutez à cela le fameux «basé sur une histoire vraie», et voilà une recette pour le succès.

Aurait-on tendance à accorder trop d’importance au charisme et à l’intelligence de certains tueurs? Lorsqu’on examine les circonstances ayant permis à la plupart d’entre eux de poursuivre leur «carrière», on peut difficilement ignorer les facteurs externes qui ont joué en leur faveur. Prenons par exemple Jeffrey Dahmer qui, en ciblant des victimes homosexuelles et non caucasiennes, a profité du racisme et de l’homophobie d’une Amérique qui n’accorde pas la même valeur à toutes les vies. Pour sa part, Charles Manson n’aurait possiblement pas pu commettre de telles atrocités sans le non-conformisme, la révolution sexuelle et la consommation exagérée de drogue de la culture hippie dans la Californie des années 1960. Pourquoi cette propension à sauter aux conclusions en faisant de ces hommes des génies du mal sans prendre plus de recul?

Note: On remarque toutefois des efforts isolés pour ne pas glorifier les coupables et laisser toutes la place aux victimes, des plus petits (l’animatrice du podcast Canadian True Crime Kristi Lee s’assure toujours de présenter les victimes comme des personnes avant tout, parlant de leurs hobbies ou partageant des anecdotes heureuses à leur sujet; elle a en outre insisté pour appeler le responsable de la tuerie de la Polytechnique par son nom de naissance (Gamil Gharbi) et non son nom choisi (Marc Lépine)) aux plus grands (la première ministre de Nouvelle-Zélande, Jacinda Ardern, a promis de ne jamais prononcer le nom de l’auteur de l’attaque terroriste meurtrière contre deux mosquées de Christchurch le 15 mars 2019).

Hannibal Lecter Anthony Hopkins Mads Mikkelsen
Mads Mikkelsen et Anthony Hopkins dans le rôle qui les a rendus célèbres: celui d’Hannibal Lecter

La polémique Tumblr

Tumblr favorise le développement de communautés marginales depuis des années, pour le meilleur et pour le pire. Que vous classiez les amateurs de tueurs en série dans cette première catégorie ou la dernière, impossible de dénier le caractère macabre de certains blogues et, surtout, les événements sinistres les ayant entourés au cours de la dernière année. Même si la popularité de la plateforme est à la baisse, le culte de tueurs de masse y est encore problématique, avec des comptes dédiés à des meurtriers et des terroristes comme…

  • James Eagen Holmes, auteur de la fusillade dans une salle de cinéma d’Aurora pendant une première du film The Dark Knight Rises en 2012; douze morts
  • Dylan Roof, suprémaciste blanc ayant ouvert le feu dans le temple de l’Église épiscopale méthodiste africaine Emanuel à Charleston en 2015; neuf morts
  • Nikolas Cruz, auteur de la fusillade de Parkland en milieu scolaire en 2018; dix-sept morts

Thomas Michael «T. J.» Lane III est l’un des nombreux tueurs à faire l’objet d’un culte particulièrement inquiétant. Incarcéré depuis une tuerie perpétrée à son école en 2012 alors qu’il avait dix-sept ans, le meurtrier a pris un plaisir évident à tourmenter les proches de ses victimes lors de son procès, où il est apparu vêtu d’un chandail sur lequel il avait écrit «Killer» pour livrer sa déclaration: «La main qui a appuyé sur la gâchette pour tuer vos fils se masturbe aujourd’hui à ce souvenir. Allez tous vous faire foutre.»1

Avec son absence de remords, son évasion d’un pénitencier d’Ohio et la manière dont il s’est défendu avec une fourche lors de son appréhension, Lane représente un modèle de rébellion ultime pour ses fans, la plupart des adolescents. Que penser d’une communauté qui l’adule sur les médias sociaux, de Tumblr à Twitter? On peut juger ses membres immoraux, mais ils sont pour l’ensemble des jeunes confus, déprimés et plutôt inoffensifs qui partageant leur curiosité envers des sujets tabous avec ignorance et immaturité… mais peut-on craindre que l’adhésion à cette communauté virtuelle en encourage certains à passer à l’acte?

Adam Lanza, l’auteur de la tuerie de l’école primaire Sandy Hook en milieu scolaire en 2012 (28 morts, dont 20 enfants), faisait partie de la true crime community. Il tenait deux blogues Tumblr où ils publiaient des images et des vidéos associées à des tueries de masse. Leurs noms? Gayfortimk et Queerforkimveer, en l’honneur de Tim Kretschmer (collège Albertville-Realschule en Allemagne en 2009; seize morts) et Kimveer Gill (Collège Dawson à Montréal en 2006; un mort).

En février 2015, trois jeunes adultes (19, 20 et 23 ans) ont été arrêtés pour complot de tuerie à Halifax. L’une des personnes arrêtées tenait un blogue Tumblr intitué School Shooter Chic; violence is the aesthetic. En janvier 2019, une autre arrestation a de nouveau attiré l’attention sur Tumblr. Brein Basarich, une Américaine de 31 ans, participait activement à la true crime community, où elle disait de Dylan Roof qu’il était adorable et partageait des photos de bébé de Nikolas Cruz — un comportement répandu parmi les membres de la communauté. Ses contemporains ont toutefois réagi lorsqu’elle a publié les mots suivants: «J’ai eu la vision d’un lieu publique avec une seule entrée et une seule sortie. De préférence un bar ou un club lors d’une soirée occupée. 2019 nous réservera plusieurs surprises si tout se déroule comme prévu!»²

Tumblr a annoncé en décembre 2018 sa décision de censurer tout contenu adulte, rendant du coup sa plateforme moins intéressante pour les amateurs de tueurs en série… même si de nombreux blogues au contenu problématique sont toutefois toujours actifs.

Que penser de cette «solution»? Que peut bien réaliser la censure, sinon aliéner davantage un groupe déjà marginalisé?

Thomas Lane
Thomas Lane lors de son procès en 2013 pour la tuerie de l’école de Cleveland, où il a tué trois étudiants et en a blessé trois autres, dont un ayant perdu l’usage de ses jambes.

Le marché lucratif de la murderabilia

Il y a des tueurs qui collectionnent les cadavres, et des fans qui collectionnent les œuvres d’art de collectionneurs de cadavres. Parmi ceux-ci, on compte quelques célébrités comme les musiciens Merle Allin et Jonathan David (qui fut d’ailleurs propriétaire de la Volkswagen Beetle de Ted Bundy pendant un certain temps).

Connaissez-vous Serial Killers Ink? Fondé par Eric Holler, qui se fait appeler Eric Gein en hommage à son tueur préféré, il s’agit d’un marché en ligne consacré à la murderabilia, un mot-valise qui désigne les objets liés aux tueurs en série comme des lettres ou des tableaux. Selon Holler, il n’est pas plus de mauvais goût de tirer profit de crimes violents de cette façon qu’en les exploitant au cinéma ou à la télévision, et l’Américain n’est pas seul à penser de cette façon. Suite à l’interdiction d’Ebay de vendre ce type d’objets, Serial Killers Ink et des plateformes semblables connaissent une importante popularité.

Les possessions de célébrités nous fascinent, et n’importe quel objet ayant appartenu à quelqu’un d’assez populaire trouvera certainement preneur, peu importe sa banalité — en 2000, une fan de Justin Timberlake a payé 1025 $ pour les restants de son assiette de pain doré. C’est donc sans trop de surprise que des choses ayant appartenu aux pires spécimens de l’humanité reçoivent le même traitement révérencieux.

Mais n’est-ce pas immoral? Après tout, pourquoi une personne n’adhérant pas à l’idéologie nazie achèterait-elle des aquarelles réalisées par Adolf Hitler? Peut-on accuser ceux dont le salon est décoré d’un tableau du tueur pédophile John Wayne Gacy d’endosser ses gestes? Pour plusieurs, ce type d’achat est doublement moins éthique lorsque l’artiste est toujours en vie et tire profit de la vente.

Les avocats du diable maintiennent qu’il n’existe pas d’excuse pour la destruction et la censure d’une oeuvre d’art. La liberté créatrice d’un artiste ne devrait en aucun cas être assujettie, même dans le cas de Gacy, dont la majorité des œuvres ont d’ailleurs été détruites lors d’un autodafé réunissant plus de 300 individus en 1994. Pour ceux qui se soucient peu de l’art ou de la moralité et cherchent seulement à faire de l’argent, on retrouve également le bon vieil argument du «j’ai l’doua»: dans une société capitaliste, on devrait pouvoir faire ce qu’on veut avec ce qui nous appartient, à condition de ne pas briser de lois. Enfin, notons qu’il n’y a pas que les fans et les entrepreneurs qui collectionnent des œuvres de tueurs en série. Celles-ci seraient apparemment souvent rachetées par la police ou des professeurs d’université qui s’en servent pour des recherches.

Pour les militants des droits des victimes, les créations de tueurs en série ne méritent pas le statut glorifié d’«art». Il s’agit d’un outrage à la mémoire des victimes et de leurs proches. En effet, difficile de faire le deuil d’un proche quand son meurtrier peint des tableaux qui s’arrachent à des milliers de dollars, d’autant plus que certains choquent par leur obscénité, arborant des scènes de crime ou des pierres tombales au nom des victimes. Évidemment, c’est précisément cette cruauté qui intriguent la majorité des curieux, qui voient en leur nouvelle possession un artéfact quasi diabolique, comme s’ils possédaient un échantillon de l’âme de ces hommes et pouvaient plonger dans leur imaginaire sans se blesser.

D’ailleurs, rares sont les tueurs qui profitent de la vente de ces objets de collection, qui changent souvent de propriétaire. Nombreux sont les criminels ayant offert lettres et dessins à des correspondants pour découvrir plus tard, souvent avec stupeur et colère, que ceux-ci circulaient sur le marché. Plusieurs thérapeutes par l’art déplorent ce marché lucratif. Les œuvres, disent-ils, devraient servir pour aider les prisonniers à «guérir», et non à des fins sensationnalistes pouvant sérieusement traumatiser les victimes et leurs proches.

This Guy Collects Artwork From Serial Killers (HBO)


1. This hand that pulled the trigger that killed your sons now masturbates to the memory. Fuck all of you.

2. I had a vision of a very public place, only one way in and one way out. Preferably a bar/club on a busy night. 2019 has a lot in store if my plans go according!


Cet article vous a plu? Laissez vos commentaires et lisez la troisième partie de notre dossier True Crime! Consultez le premier article de la série pour une médiagraphie complète.

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