ode to nothing Dwein Baltazar

[Fantasia 2019] Poétiser la mort: entrevue «Ode to Nothing» avec la cinéaste Dwein Baltazar

Présenté dans le cadre du Festival de Fantasia, Ode to Nothing (Oda Sa Wala) nous a tellement fait bonne impression que nous avons tout mis en œuvre pour discuter avec la cinéaste de ce véritable chef-d’œuvre, qui n’était malheureusement pas sur place pour venir présenter son film.

Ode to Nothing affiche filmHeureuse de notre engouement, Dwein Baltazar a eu la grande gentillesse de répondre à nos questions:


Horreur Québec: Dans Ode to Nothing, on note une utilisation très particulière du plan fixe et je me demandais comment en êtes-vous venu à ce choix pour votre film?

Dwein Baltazar: Je désirais proposer des plans statiques tôt dans le film. C’était un choix délibéré de rendre la caméra immobile pour que le spectateur puisse ressentir non seulement le calme, mais le fait qu’il ne se passe rien dans la vie de Sonya. Elle est prisonnière d’une sorte de cycle sans fin. Si vous remarquez bien, la caméra bouge et la musique est vraiment introduite seulement après l’arrivée du cadavre.

HQ: L’aspect visuel du film est tout à fait splendide et j’ai compris qu’il s’agissait de votre troisième collaboration avec le directeur photo Neil Daza?

DB: Oui. Pour ce film-ci, le processus visuel a été intensément discuté. Je travaille avec lui depuis mon premier film [Mamay Umeng] et c’est l’un de mes collaborateurs préférés, avec mon directeur artistique Maolen Fadul.

HQ: Dans votre film, votre héroïne mentionne qu’elle est invisible. Est-ce que la solitude fait de Sonya le vrai fantôme de Ode to Nothing?

DB: Définitivement. La solitude peut vous dévorer de l’intérieur. Vous en venez à vous isoler et vous devenez invisible, comme un mort ou un fantôme. On dit aussi que la solitude représente une prière non réalisée. Je le crois pour Sonya: elle souhaite une multitude de choses et ses souhaits demeurent inexaucés. Ses rêves demeurent des rêves. Il s’agit des racines de sa solitude.

HQ: Pouvez-vous nous parler de l’importance et de la symbolique de cette chanson dont raffole ton personnage?

DB: C’est une vieille chanson folklorique chinoise. On y traite de la beauté des jasmins que la chanteuse veut cueillir. C’est un peu à l’image de Sonya et de son désir d’être entendue par quelqu’un ou même arrachée au cycle de sa vie. Les paroles vont en ce sens. J’avais besoin d’une chanson étrangère qui pouvait opérer une connexion avec mon personnage. Cette mélodie est un moyen d’évasion pour elle. J’ai rédigé tout un background pour Sonya avant de me lancer dans l’écriture du scénario. Il était bien sûr question de sa relation avec sa mère, qui n’est pas dans le film. L’idée était que cette chanson était la préférée de sa mère. Ça lui permet donc de s’évader et de se calmer. J’ai aussi cette impression qu’elle se languit de vivre toujours dans la même ville. Cette chanson étrangère lui donne l’impression d’être à l’étranger.

Nous avons construit nos décors dans cette optique. Si vous regardez attentivement, il y a une affiche avec un avion ainsi que certaines touches chinoises et japonaises dans les décors qui indiquent qu’elle aimerait être ailleurs.

Ode to nothing objets film

HQ: Durant la projection, j’ai trouvé difficile d’identifier la période où se déroulait l’action du film. Est-ce que c’était volontaire?

DB: Dans mes films, j’aime rester vague sur l’année où l’action se déroule. Cependant, je m’assure que les spectateurs comprennent que l’histoire ne se déroule pas au présent. L’utilisation d’un baladeur avec cassette renvoit au passé, mais j’aime croire que ce ruban appartenait davantage à sa mère qu’à elle-même.

HQ: J’ai ressenti une certaine critique des salons funéraires qui utilise la vulnérabilité et la douleur pour faire de l’argent. C’est l’un des thèmes secondaires du long-métrage?

DB: C’est la triste réalité de ce que sont les salons. Ils font de l’argent sur le dos des morts et sur la peine qui en découle. J’ai simplement montré cette réalité.

HQ: Est-ce que ce fut difficile de trouver une actrice aussi talentueuse que Marietta Subong pour porter le film?

DB: J’ai vu en Marietta une actrice de haut calibre. Elle joue rarement des rôles sérieux et je voulais la faire bifurquer dans une direction où le spectateur ne la voit pas souvent. Le choix de Marietta a été très facile et elle était la première sur notre liste.

HQ: Pouvez-vous nous donner des pistes d’interprétation pour la fin?

DB: J’aime moins expliquer mes films que j’aime parler d’eux en général [rires]. C’est ironique, mais chaque fois qu’on me demande dans quelle direction vont mes long-métrages, surtout pour mes finales, j’ai l’impression que si je parle trop, je vais trahir mes spectateurs.

Quand je termine un film et que le cinéphile le voit, il n’est plus directement à moi. Je souhaite que mes spectateurs se l’approprient. J’adore voir ce que les gens perçoivent des histoires où tout n’est pas expliqué. Ce n’est pas si important de tout saisir. Si l’histoire nous touche, c’est qu’elle résonne en nous.

Ode to nothing film


Nous espérons avoir la chance de nous entretenir en personne avec la réalisatrice Dwein Baltazar lors d’un prochain festival et nous espérons que nos lecteurs auront bientôt la chance de découvrir Ode to Nothing. Aucune date sortie n’est annoncée pour l’instant, mais nous vous tiendrons au courant!

Horreur Québec