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[Fête des Mères] Derrière les fleurs, le cauchemar : redécouvrir «Mother’s Day»

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Alors que les vitrines débordent de bouquets et de messages d’amour, c’est un tout autre visage de la maternité que j’ai envie d’explorer aujourd’hui. Celui que propose Mother’s Day (1980), un film méconnu, cru, profondément malsain; et pourtant impossible à oublier. Ce long-métrage m’a littéralement traumatisée lors de sa découverte. Et c’est peut-être justement dans ce genre d’œuvre frontale, brute et dérangeante que se nichent, paradoxalement, les réflexions les plus subversives sur la figure maternelle dans le cinéma d’horreur.

Réalisé par Charles Kaufman (frère du célèbre Lloyd Kaufman de Troma), Mother’s Day est un ovni malsain, longtemps banni pour sa violence, mais qui a su traverser les décennies pour devenir un symbole culte d’un cinéma transgressif. Ce n’est pas un film confortable. Et c’est peut-être pour ça qu’il mérite qu’on s’y attarde aujourd’hui.

Trois amies partent camper dans une forêt reculée du New Jersey, loin du tumulte de la ville. Leur escapade vire rapidement au cauchemar lorsqu’elles sont capturées par deux frères dégénérés et leur mère autoritaire, qui les soumettent à une série d’humiliations et de violences dans ce qui ressemble à un étrange rituel familial.

Ce qui commence comme un slasher sordide bascule peu à peu vers un rape & revenge cru, où les survivantes retournent la brutalité contre leurs bourreaux dans une vengeance aussi grotesque que viscérale.

Dans Mother’s Day, la mère n’est ni tendre, ni protectrice. C’est une manipulatrice sadique, qui orchestre les agressions de ses fils comme on monterait un spectacle, dans le seul but de satisfaire sa propre soif de domination. À travers ce portrait outrancier, le film détourne l’image sacrée de la maternité pour en révéler la face sombre : une construction sociale ambivalente, aussi capable d’oppression que de soin.

Ce renversement radical du mythe de la “bonne mère” agit comme un électrochoc. Le film interroge sans détour : qu’est-ce qu’une mère, au fond ? Une guide ? Une geôlière ? Un monstre sacré ? Ou tout cela à la fois ?

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Une critique sociale sous forme d’hystérie

Derrière sa façade de slasher crade, Mother’s Day dissimule une critique acerbe de la société américaine. Dès l’ouverture, une parodie grotesque de séminaire de croissance personnelle, le ton est donné : ce film ne vise pas seulement à faire peur, il cherche à ridiculiser les fausses promesses du rêve américain. La maison des tueurs n’est pas qu’un lieu d’horreur, c’est une caricature grotesque de la middle class blanche, saturée de références pop digérées jusqu’à l’écœurement. Téléviseurs allumés en boucle, objets d’aérobic, accessoires absurdes (jusqu’à ces seins gonflables utilisés comme arme), tout dans le décor respire le kitsch outrancier. L’absurdité des dialogues, l’exagération des comportements et l’omniprésence des symboles culturels participent à une forme d’hystérie esthétique. Le film semble hurler : regardez ce que produit une société qui confond autorité et spectacle, amour et possession, discipline et humiliation.

La vengeance féminine : un basculement libérateur

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Après avoir subi l’inimaginable, les survivantes reprennent le dessus. Et leur vengeance n’a rien de mesuré. Elle est sale, physique, et presque cathartique. Trina et Abbey s’arment de tout ce qu’elles trouvent — un couteau électrique, du Drano, un téléviseur — et retournent cette violence masculine contre ceux qui en jouissaient. Elles n’obéissent plus à la logique du trauma silencieux, mais à celle d’une reprise de contrôle brutale, viscérale. Le film pousse le genre rape & revenge dans ses retranchements les plus grotesques, flirtant parfois avec l’humour noir, sans jamais nier la gravité de ce qui a été vécu.
Ce n’est pas une “happy end” au sens traditionnel : elles ne redeviennent pas les mêmes. Mais elles refusent d’être réduites à leur souffrance. Elles revendiquent leur rage, leur corps, leur récit. La peur change de camp, et dans cette surenchère sanglante, une étrange forme de libération émerge.

D’autres films, d’autres mères (ou pas)

Mother’s Day n’est pas un cas isolé. Plusieurs réalisatrices et réalisateurs ont exploré cette zone trouble entre maternité, corps et violence, souvent à travers des récits viscéraux et féministes. Dans Prevenge (Alice Lowe, 2016), une femme enceinte devient tueuse sous l’impulsion de son fœtus. Dans À l’intérieur (2007), la maternité est prise d’assaut, littéralement. Baby Blood (1990) imagine une gestation monstrueuse, The Babadook (2014) traduit le deuil maternel en entité malveillante, et Titane (2021) repousse toutes les frontières du genre et du genre.
Ces films partagent un point commun : ils refusent d’idéaliser la mère, et proposent des visions corporelles, conflictuelles, souvent transgressives de la maternité. Ils permettent de penser autrement, de faire éclater les carcans; quitte à déranger.

Loin des bouquets de fleurs et des colliers de nouilles, le cinéma d’horreur ose regarder la maternité autrement : comme un territoire de conflits, de tensions, de contradictions profondes.
Mother’s Day n’est pas un film à offrir à votre maman. Mais c’est peut-être l’un de ceux qui nous rappellent qu’aimer une mère, c’est aussi savoir reconnaître ses failles, ses ambivalences, ses ombres.
Et que parfois, l’horreur — dans sa démesure même — dit les choses avec une clarté troublante.

Mother’s Day (1980) est actuellement disponible en streaming au Canada sur Shudder.

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