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[Littérature] Mukbang: orgie de gras et de mots

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4.5
Note Horreur Québec

Le mukbang serait, pour reprendre certains mots de Wikipédia, une vidéo-orgie culinaire où une personne consomme bruyamment des quantités exagérées de nourriture tout en interagissant avec le public; c’est aussi le titre du dernier roman de Fanie Demeule, dans lequel une jeune fille qui souhaite obtenir son étoile sur le boulevard YouTube repousse les limites du spectacle calorique. Et qui de mieux placée que cette autrice pour exploiter la répulsion que peut soulever le sujet?

Si vous reconnaissez Demeule à sa contribution à divers recueils consacrés à la forme brève (Monstres et fantômes, Cruelles), qui lui ont mérité un ancrage solide dans la littérature d’horreur du Québec, vous la connaissez peut-être aussi pour Déterrer les os, cette plongée dans le cauchemar des désordres alimentaires portée au théâtre par Gabrielle Lessard.

Mukbang couverture livreC’est avec sa plume sobre si signature que l’autrice explore la décadence de ce phénomène coréen qui s’est emparé de la vidéosphère, sachant parfaitement où gratter pour garder le lecteur suspendu entre la titillation et le dégoût. Mukbang nous amène à prendre conscience des limites du corps exploité par l’infini de l’appareil mental, mais, surtout, l’indifférence du contrôle de la machine Internet, versant par moment dans le body horror avec une étonnante élégance. Le mukbang n’est pas seul à y passer. Les excès s’enchaînent à la manière d’un virus, de la privation exagérée du culte du jus de céleri et du thigh gap des gourous du bonheur et de la santé au débordement enthousiaste du unboxing qui ne finit plus.

Ce même virus entraîne la narration d’un personnage à l’autre sur une piste fascinante qui, sans tomber dans la leçon, nous rappelle le contrôle du Web et des réseaux sociaux sur notre existence. En enchaînant les entrées d’encyclopédies virtuelles, les recettes et les entrevues de sites à potins, la lecture prend la forme d’une visite sur Internet où chaque clic mène à une nouvelle fenêtre, puis une autre, jusqu’à l’hyperstimulation. Les codes QR qui interrompent le parcours des mots traduisent bien ces rabbit holes, tout en arrimant le texte à son époque. Pour ne rien perdre de ce récit à la fois délicieux et répugnant, un conseil: lisez-le d’un bout à l’autre avant de brandir votre téléphone. S’ils ajoutent une dimension passionnante à l’expérience, les codes peuvent aussi distraire de la sordide histoire de Kimchichi, la youtubeuse imaginée par Fanie Demeule.

Un roman généreux qui colle au lecteur comme le glutamate monosodique aux lèvres après un bibimbap.

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