[Fantasia 2025] « Peau à peau » : entrevue avec la réalisatrice Chloé Cinq-Mars

Premier long métrage de Chloé Cinq-Mars en tant que réalisatrice, Peau à peau adopte le point de vue d’une jeune mère (Rose-Marie Perreault) qui vit une dépression post-partum (postnatale). Une histoire inspirée de son vécu, puisque la réalisatrice a dû faire face à une telle dépression après la naissance de son fils à la fin des années 2000. Horreur Québec l’a rencontrée quelques jours avant la première mondiale de son film à Fantasia.

Bien qu’elle ait déjà réalisé un court métrage (La coupure), Chloé Cinq-Mars ne rêvait pas de devenir une réalisatrice. En couple avec le réalisateur David Uloth, elle occupait d’autres postes sur les films de son conjoint, dont celui de scénariste, ce qui a entre autres donné naissance au long métrage Dérive en 2018. « On se voyait un peu comme les Coen Brothers », dit-elle.

Mais lorsqu’elle écrit un scénario tiré de cette expérience douloureuse, David Uloth refuse de le lire, ne souhaitant pas raviver cette période difficile de leur vie.

De l’intérieur

Malgré ce refus, Chloé Cinq-Mars poursuit le développement du projet, en se disant qu’elle pourrait le proposer à un autre réalisateur. Elle se met alors à visionner tous les films ayant abordé le sujet, et très vite, elle est contrariée par ce qu’elle découvre.

Le regard était toujours extérieur. On est dans le jugement. On voit le personnage devenir un monstre, et je trouve que comme société, on se dédouane en se disant que c’est la faute de la mère, qu’elle fait des choses horribles parce qu’elle est en train de virer folle.
– Chloé Cinq-Mars, réalisatrice de Peau à peau

Pourtant, une femme sur cinq vit une dépression post-partum, soutient-elle.

C’est donc de « l’intérieur » que Chloé Cinq-Mars choisit de raconter son histoire, c’est-à-dire du point de vue de Pénélope, la mère dépressive. Une approche qui lui permet d’injecter une inquiétante étrangeté dans son film et d’amener le public à douter de ses sens, à l’instar du personnage principal.

C’est ainsi que, peu à peu, le suspense s’installe. Au départ, Pénélope se sent menacée par une présence « extérieure » : une jeune fille portant une cagoule rouge et prénommée Charlotte, qui semble la suivre, la surveiller. Mais bien vite, c’est pour le bébé que le public s’inquiète, craignant que la mère ne commette l’irréparable.

La vraie horreur, ce qui est vraiment effrayant, c’est quand tu te rends compte que le danger vient de toi. Je trouve que de le vivre de l’intérieur, c’est mille fois pire que de l’extérieur.
– Chloé Cinq-Mars

Une dépossession

Dans Peau à peau, l’horreur vient progressivement parasiter le réel. Une horreur qui passe, entre autres, par le sentiment de dépossession que vit Pénélope, une danseuse en couple avec un musicien et vivant dans la précarité.

Mon film aurait pu s’appeler Dépossession. Quand tu as un enfant et que sa survie dépend de ton corps, il y a cette impression que ton corps ne t’appartient plus.
– Chloé Cinq-Mars

Un sentiment d’autant plus confrontant pour une danseuse, dont le corps est l’outil d’expression.

Cette dépossession passe aussi par la présence d’un double de Pénélope, comme si cette dernière était sortie de son propre corps et assistait, impuissante, à ses agissements.

Un corps violenté. Non seulement par la césarienne d’urgence que subit Pénélope, mais aussi par les plaies causées par l’allaitement — des mamelons d’où ne s’écoule pas uniquement du lait, mais également du sang.

Un événement traumatisant

Comme le personnage principal de son film, Chloé Cinq-Mars a vécu une césarienne d’urgence lors de la naissance de son fils. Un événement traumatisant dont elle a eu besoin de plusieurs années pour se remettre.

« J’étais en maison de naissance et j’ai été transférée à l’urgence », se remémore la réalisatrice. Un traitement pas très humain, affirme-t-elle. « Après, je n’avais aucun suivi. Personne ne venait me voir. »

D’ailleurs, si la réalisatrice a dû faire certaines concessions concernant les effets spéciaux et les scènes sanglantes – faute de moyens –, elle a également dû faire d’autres sacrifices au moment de la scénarisation. Si l’on perçoit dans le film certaines lacunes concernant l’accompagnement que Pénélope reçoit de la part de sa médecin, ce que Chloé avait écrit à l’origine dans son scénario était « bien pire ».

Ça ne passait pas aux institutions [de financement]. Les gens n’y croyaient pas. Ils disaient : “Ben voyons donc, ça n’a pas de sens. Elle aurait de l’aide.”
– Chloé Cinq-Mars

Pourtant, explique Chloé, elle avait retranscrit mot pour mot les témoignages qu’elle avait recueillis. Elle a tout de même été contrainte de rendre la médecin de son film « plus fine que dans la vie ».

C’est très difficile de demander de l’aide à une médecin quand sa tâche première, c’est de s’occuper du bébé. Si tu dis : “Je pense que peut-être, je ne suis pas apte à être mère”, elle risque de prendre ton enfant. Comment tu demandes de l’aide, si le danger, c’est qu’on t’enlève ton enfant?
– Chloé Cinq-Mars

Selon elle, pour remédier à cette crainte, une aide psychologique devrait être offerte automatiquement aux nouvelles mères.

Le trip de diriger des acteurs

Diriger des comédiennes et des comédiens, ça n’a pas de secret pour Chloé Cinq-Mars, qui a été coach d’acteurs et directrice de casting sur différentes productions. « C’est mon trip. C’est ça que j’aime et c’est là que j’ai le plus confiance en moi, en réalisation. »

Même si elle a pensé à Rose-Marie Perreault très tôt pour interpréter Pénélope, elle a tout de même fait des auditions pour être sûre de prendre la bonne décision. Et jusqu’à tard dans le processus, elle a hésité entre quatre finalistes.

Mais Rose-Marie, elle est tellement lumineuse. Je trouvais ça important, parce que le film est tellement dark. Je me disais que si j’ai un personnage trop sombre, ça ne marcherait pas. On n’aura pas d’empathie pour elle. C’est facile de tomber dans la caricature, et moi, je voulais qu’on soit dans le réalisme.
– Chloé Cinq-Mars

Même chose pour le rôle de Gaspard, le chum de Pénélope, interprété par Simon Landry-Désy.« Moi Gaspard, je l’aimais d’amour, mais j’ai eu des auditions où il y avait tellement de jugement dans le jeu », raconte-t-elle.

Certains candidats qualifiaient le personnage de « trou de cul », un jugement avec lequel Chloé était en désaccord..

Lui aussi, il va mal. Il ne peut pas être parfait. Je voulais des personnages qui font des erreurs, mais qui ont de bonnes intentions.
– Chloé Cinq-Mars

Les attentes

Chloé Cinq-Mars a hâte de voir la réaction du public lors de la projection de son film au Festival Fantasia, mais elle s’interroge sur leurs attentes.

Dans un monde idéal, la réalisatrice aimerait que le public arrive à la projection sans rien savoir du film. Que les gens s’assoient dans la salle en se disant qu’ils viennent voir un simple drame. Mais puisque le film est présenté à Fantasia, le public va probablement s’attendre à ce que le film dévie de sa course et propose des éléments horrifiques ou fantastiques.

Bien qu’il flirte avec ces genres, la réalisatrice ne croit pas en revanche que Peau à peau soit véritablement un film d’horreur ou un thriller.

N’empêche, la tension est bien palpable tout le long du film, et il devrait plaire à plusieurs, qu’ils soient amateurs ou amatrices de cinéma de genre ou non.

La première mondiale de Peau à peau aura lieu le 22 juillet à 18 h 30, la sortie en salle étant pour sa part prévue au cours de l’hiver 2025-2026.

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