C’est en 2021 que l’autrice Fanie Demeule a fait sensation avec la parution de son roman Mukbang, court récit postmoderne utilisant les codes de l’horreur et de la science-fiction dans une intrigue bien ancrée au cœur de l’ère du numérique. Avec le succès de l’œuvre littéraire, déjà cinématographique dans son traitement stylistique et son efficacité, il n’était qu’une question de temps avant qu’on en propose une adaptation en format vidéo. C’est ainsi qu’avec le travail du réalisateur et scénariste Kevin T. Landry (Jour de Merde), l’itération sous forme de série web de Mukbang voit enfin le jour, en huit épisodes disponibles sur ICI TOU.TV à partir du 30 octobre.
Les quelques lecteurs qui ne sauraient pas encore en quoi consiste un mukbang pourront être intrigués par le titre de l’œuvre, qui réfère à un phénomène bien présent en ligne depuis plusieurs années. Les influenceurs s’adonnant à ce type de contenu publient des vidéos sur leurs différents réseaux sociaux où on peut les voir consommer une quantité immense de nourriture, exagérant bien souvent leurs bruits de déglutition. D’abord popularisé en Corée du Sud, le phénomène s’est depuis répandu mondialement, devenant une mode appréciée par les fans.
C'est donc au cœur de cette dynamique de représentation de soi et de lutte contre l'isolement par des moyens extrêmes que se situe Kim Delorme (Léanne Désilets). La jeune femme, déjà obsédée par sa présence en ligne reflétant ses propres insécurités depuis qu'elle a déménagé seule et qu'elle consacre le plus clair de son temps à se forger une identité virtuelle, tombera par hasard sur une vidéo de mukbang de Misha Faïtas (Sasha Migliarese), influenceuse montréalaise à la mode. Elle y verra tout de suite l'opportunité tant attendue de se démarquer du lot, d'atteindre un niveau de popularité et de reconnaissance jusque-là inaccessibles, objectif que Kim est prête à atteindre à ses dépens.
Malgré qu’elle se sente délaissée et ignorée par son entourage, Kim est pourtant au cœur d’un réseau de personnages pour qui la jeune femme a un impact considérable : ses parents (Geneviève Brouillette et Jean-Marc Dalphond), sa cousine Gen (Amaryllis Tremblay), Misha, et même les employés du restaurant où elle commande sa nourriture (Russell Yuen et Vincent Kim). Tous ces personnages se partageront bientôt l’avant-plan dans un récit choral relié par la présence de Morphea (Sophie Desmarais), une entité virtuelle interagissant de près ou de loin avec chacun d’entre eux.
Le travail d’adaptation entre le roman et la série est intéressant, particulièrement en ce qui concerne sa structure narrative. Certains des personnages détiennent une plus grande importance dans la série, notamment Morphea, beaucoup plus active dans le format audiovisuel qu’elle ne l’était dans le récit d’origine, où elle apparaissait davantage de manière pernicieuse et subtile. La mise en scène propose également une intéressante dynamique théâtrale lors des nombreuses conversations téléphoniques entre les personnages, rendant l’ensemble plus agréable à l’écoute. Même si l’adaptation n’est tout de même pas infaillible, certains dialogues demeurant très littéraires et moins fluides, le récit trouve son style qui lui est propre, fidèle dans l’intrigue au roman, mais assumant ses changements formels.
Mukbang réussit donc à bien se détacher du reste des webséries actuelles, notamment grâce à sa mise en scène audacieuse et à un rafraîchissant recours aux codes de l’horreur. La série est bien adaptée pour les adolescents avertis, mais sera tout aussi appréciée par un public adulte pour la profondeur de son propos.
Mais faut-il préciser qu’il vaut mieux y penser à deux fois si les bruits de mâchouillements et les gros plans de mastication vous dégoûtent?
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