C’est dans un Ausgang Plaza plein à craquer qu’avait lieu la sixième soirée de cette 24e édition du festival SPASM. Au programme : deux blocs de courts métrages éclectiques et uniques, avec en première partie une sélection 100 % québécoise, suivie d’un menu choisi pour son absurdité et son caractère inclassable.
Folie et liberté bien de chez nous
La programmation des Insolites québécois #2 débutait avec une proposition empreinte de tendresse : une lettre d’amour de la réalisatrice Daphnée Côté-Hallé à sa mère Isabelle, qu’on connaîtra davantage sous le nom de Greluche, son personnage de clown qu’elle incarne depuis une quarantaine d’années.
Bien qu’il emprunte plusieurs codes de la fiction, mettant en scène la pétillante dame dans des environnements recréés pour le bien du film, l’œuvre cherche d’abord à dresser un portrait documentaire précis de cette perle humaine — une femme qui réussit à garder son cœur d’enfant, jusqu’au bout de son nez rouge.
Lumineuse, charmante, mais également lucide quant au vieillissement du corps qui la rattrape inévitablement, Greluche et son univers établissait parfaitement le ton de la soirée, qui se poursuivrait d’ailleurs sur le même thème.
Cette liberté, tout aussi rafraîchissante, était à l’origine d’une proposition complètement différente de Sara Bourdeau avec son film Sylvie en liberté.
Cette Sylvie (Anne Lapierre), fraîchement sortie de prison, renoue contact avec ses amis dans son village natal, enfourchant son fidèle vélo comme le ferait le cowboy d’un western classique.
La comédienne emprunte d’ailleurs l’attitude pince-sans-rire de cet l’archétype du cinéma, tout comme l’ensemble du film qui fait écho à Sergio Leone tout au long de son intrigue. Le résultat est charmant, décomplexé, dans un bijou qui semble sorti de nulle part, mais reste gravé dans notre mémoire.
Changement de direction abrupt pour la prochaine proposition : Minou et la vipère, un court métrage d’animation électrisant, truffé d’action et de dopamine, signé John-Daniel Arauz.
Dans la ville futuriste de Nouveau San Francisco, un héros dur à cuire, « la Vipère », et son acolyte fougueuse, « Minou », tenteront d’empêcher un industrialiste égocentrique, « le Chacal », de mener à bien son plan diabolique de provoquer une apocalypse polluante.
L’artiste, après plus de cinq ans de travail d’animation à temps perdu, nous livre un résultat surprenant et maîtrisé, dont l’intrigue demeure accessoire : l’attention est plutôt portée sur le style débordant de chaque plan. Pour ce que ça vaut, nous sommes dans un futur dystopique largement inspiré de Blade Runner, suivant un héros armé de son revolver et accompagné de son chat, tentant de contrecarrer les plans d’un ennemi manichéen souhaitant envahir la ville par la pollution.
Différents styles d’animation s’entremêlent, parfois pour quelques secondes seulement, dans une proposition qui regorge d’idées de toutes sortes. Il est fascinant de constater que le jeune artiste est à l’origine de pratiquement l’ensemble de l’œuvre, tant le résultat semble tout droit sorti d’un studio d’animation professionnel.
Une œuvre qui détonne du reste de la programmation!
Celle-ci se concluait justement avec Le punk de Natashquan, proposition unique de Nicolas Lachapelle.
La ligne entre la réalité et la fiction semble mince tout au long de ce documentaire se déroulant dans le Nord-Est québécois, où les résidents de Natashquan parlent avec émotion et nostalgie d’un homme qu’ils ont connu il y a une quarantaine d’années : un punk, sorti de nulle part, qui détonnait avec le reste de la communauté et était connu dans le village pour son comportement et ses manies excentriques.
Les intervenants du film évoquent ce punk avec des étoiles dans les yeux et le souvenir d’une époque révolue qu’ils chérissent au plus profond d’eux-mêmes. Cette figure quasi mystique acquiert rapidement le statut de légende, alors qu’aucune image du court métrage ne semble le présenter avec clarté. Le punk vit dans le souvenir des anciens l’ayant rencontré — selon leurs dires —, et la communauté en parle désormais comme d’une figure messianique, dont la disparition soudaine, après quelques mois de vagabondage, ne fait qu’en accentuer l’étrangeté. Qu’est-ce qui est vrai, dans toute cette histoire?
Peu importe : le résultat est charmant, unique et clôturait la programmation à merveille.
Buffet à volonté de propositions éclatées
Le second programme de la soirée portait bien son nom : WTF. Les courts métrages internationaux qui y étaient présentés partagent tous la particularité d’être inclassables, éclectiques et audacieux. Bien que leur qualité globale fût quelque peu variable, ils avaient tous l’avantage de nous faire basculer d’un univers à l’autre, en nous prenant toujours par surprise. Une programmation appréciée du public — et avec raison.
Le programme s’ouvrait avec The Beneath, une proposition des Pays-Bas dont le ton et la mise en scène ne sont pas sans rappeler les premières œuvres de Yorgos Lanthimos par leur absurdité.
Ici, la réalisatrice Lisette Vlassak nous présente une jardinière qui découvre un jour que les légumes de son terreau semblent frappés d’une étrange malédiction.
Le film pose beaucoup de questions et offre peu de réponses, tandis que sa symbolique — parfois difficile à saisir — oscille entre le quotidien rural et quelques séquences plus survoltées, notamment un shooting photo au rythme frénétique rappelant certaines scènes de The Substance. Sans prétendre tout comprendre de l’œuvre, elle demeure idéale pour amorcer la soirée : les barrières tombent, et le cerveau du public est désormais prêt à tout.
Et nous ne sommes pas déçus avec le deuxième court métrage du programme, sans doute l’un des plus réussis du lot. Detlev, de l’Allemand Ferdinand Ehrhardt, est un impressionnant stop motion présentant une situation simple, mais traitée avec un souci du détail qui en révèle toutes les absurdités.
Dans un dépanneur rural, un seul client revient soir après soir : un camionneur quadragénaire, perpétuellement transi, à la recherche d’un petit gâteau réchauffé au four — son unique réconfort.
On s’attache rapidement à la mélancolie du personnage, et c’est sur un ton tragi-comique, souligné par l’animation, qu’on suit ses déboires lynchéens — particulièrement lorsqu’un homme inconnu se met à observer son rituel quotidien. Une œuvre unique, à voir si vous en avez la chance.
Court et unique, la proposition suivante, Papier Mâché, du canadien Simon Madore, présente le point de vue cyclique de l’existence d’une piñata, principalement de sa tête, alors que celle-ci est récupérée au sol après qu’elle fût arrachée du reste de son corps originel.
Le film se veut une expérimentation formelle simple, qui tient son intérêt du concept, et dont la courte durée dynamisait bien la soirée après deux propositions plus denses.
Par la suite, le film américain Murderbird, de Barrett Lesly Shuler, proposait une mise en scène horrifique non sans rappeler le surréalisme d’un Eraserhead dans l’esprit.
Alors qu’un homme offre un oiseau rare à sa conjointe pour son anniversaire, celle-ci reçoit le cadeau avec une horreur inattendue : l’oiseau, doté de traits humanoïdes, se révèle étrange, voire menaçant.
Sa véritable nature éclate dans une finale qui rappelle à quel point le programme — WTF — portait bien son nom.
Ensuite, la comédie Mambo No. 2, de l’Allemande Anne Feldmeier, présentait une intrigue toute simple, livrée dans une animation éclatée, débordante d’humour et d’énergie.
On y suit une femme en rendez-vous galant plutôt réussi, jusqu’à ce qu’une vieille indigestion vienne tout gâcher. Les fluides de son organisme, représentés par de petits personnages adorables, valsent en parallèle de la jeune femme, qui tente désespérément de se retenir.
L’humour scatologique se marie à merveille avec l’animation, et le film accomplit parfaitement sa mission : un divertissement léger, bienvenu dans la soirée.
How to: Sports with Food, de Fred Lavigne, est une pièce unique qui aurait difficilement trouvé sa place ailleurs que dans une programmation WTF — et ce, pour toutes les meilleures raisons.
L’artiste, spécialisé en postproduction, mobilise tous les acquis de son métier pour livrer une œuvre singulière, rappelant la télévision des années 1990 : l’ère des vidéos VHS et des tutoriels amateurs.
Ici, bien que l’on présente différents « sports » pratiqués à l’aide de nourriture, ce n’est qu’un prétexte pour dix minutes d’humour absurde, de non-sens et d’expérimentation visuelle.
Lavigne s’amuse à parsemer son film de détails jubilatoires ; et quiconque connaît son travail sait à quoi s’attendre — ou croit le savoir : il parvient encore à se dépasser avec cette nouvelle proposition.
Enfin, pour conclure cette soirée riche en trouvailles, le clou du spectacle revenait à Marc-Antoine Lemire et à sa plus récente création, Molosse.
Bien que le traitement du film soit probablement le plus conventionnel du programme, son histoire n’en est pas moins grandiose : ses personnages éclatés, plus grands que nature, justifiaient pleinement sa présence dans la soirée.
On y retrouve Johanie (Caroline Néron), mère de famille dont la ruelle est désormais partagée avec un nouveau voisin, le jeune Ian (François-Édouard Bernier), fraîchement installé avec son chien — un animal que Johanie prendra rapidement en grippe. Bientôt, la relation entre les deux foyers se transforme en véritable guerre de ruelle, chaque camp aboyant plus fort que l’autre, jusqu’à une finale splendide.
Le cinéma de Lemire demeure unique, et la maîtrise de sa mise en scène s’affirme une fois de plus dans ce dernier court métrage, récompensé par le prix MELS 2025 du meilleur court québécois au Festival Fantasia.
Le festival se conclue le 1er novembre avec le Party d’Halloween Old School. D’ici là, ne manquez pas la Grande Soirée Horreur le 31 octobre. La programmation de SPASM 2025 est également disponible en ligne jusqu’au 9 novembre.
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