Le succès et la qualité de la série Twin Peaks en ont fait un modèle télévisuel encore aujourd’hui inégalé. On y avait habilement détourné les conventions du récit policier.
Qui ne se rappelle pas de Dale Cooper enquêtant sur le meurtre de Laura Palmer?
La jeune fille devenait une figure fantomatique de la série et incarnait le châtiment subi par les femmes pour traduire les désirs masculins.
Le film Twin Peaks : Fire Walk With Me raconte la dernière semaine de la jeune Laura Palmer, une étudiante du secondaire tiraillée entre la drogue et le sexe, avant son assassinat.
S’adressant avant tout à ceux qui ont suivi la série, Twin Peaks : Fire Walk With Me demeure le chef-d’œuvre mécompris de David Lynch. Les fans de la version télévisée s’attendaient à quelque chose de plus similaire, alors que le film est plus sombre et exigeant. Évoquer le destin tragique de l’adolescente, à travers différentes intrigues et au fil des semaines, semblait diluer un tantinet le drame.
À travers ce prequel cinématographique, Lynch ne fait jamais dans la dentelle pour illustrer le monde cruel, sombre et violent dans lequel évoluent ses personnages. Par ailleurs, et malgré plusieurs segments cauchemardesques surréalistes, la trame était plus facile à suivre dans la partie télévisuelle de l’histoire. Cela explique peut-être le malaise occasionné par le film à sa sortie.
Revoir Twin Peaks : Fire Walk With Me, plus de trente ans après sa sortie, ne fait que confirmer la qualité de l’œuvre. À une époque où l’on parle enfin des conséquences de l’objectivation des femmes, ce long-métrage, scénarisé par Lynch lui-même, semble excessivement d’actualité.
Jouissant, en apparence, d’une liberté à toute épreuve, Laura est une jeune fille désespérée. Elle envoûte tous les hommes de son entourage, mais ils ne voient en elle que l’archétype de la belle et jeune femme blonde. Derrière cette assurance, cette force et cette sexualité assumée, Lynch sait doser les nuances pour nous montrer cette jeune fille éplorée.
Cette dernière fantasme être agressée par un mystérieux individu pénétrant dans sa chambre, pour ne pas comprendre et accepter que son violeur n’est autre que son père. Le cinéaste traite à sa manière la masculinité toxique trop souvent répandue et acceptée. Son film illustre diaboliquement la maltraitance des femmes par les hommes.
La trame jette aussi un regard assez sombre sur la jeunesse américaine, soutenue par des modèles adultes déficients. Outre la brutalité parentale subie par Laura, ses amis semblent tous laissés à eux-mêmes et en retrait du monde.
Évidemment, Lynch aime l’ambiguïté et il se joue du spectateur en proposant, en ouverture, une enquête cocasse où les échanges entre les agents Desmond et Stanley suffisent à déstabiliser les moins convertis à son cinéma. Par la suite, le film ne cessera de jouer avec les métaphores et les symboles qu’il faut s’amuser à décortiquer. C’est pourtant cette chute dans l’étrangeté qui transformera le visionnement en expérience sensorielle unique.
La réalisation est en tout point experte et imaginative. Le cinéaste d’Eraserhead tient solidement les rênes de cette descente aux enfers de laquelle le cinéphile sortira transformé. Que l’on soit adepte ou détracteur, nul ne peut rester de marbre face à une œuvre aussi dérangeante.
La justesse de l’interprétation impériale de Sheryl Lee apporte énormément au propos du cinéaste. Adoptant tantôt le regard persécuté de Jeanne d’Arc, tantôt celui d’une femme fatale que rien ne saurait ébranler, l’actrice change de registre avec une habileté désarmante. De son côté, Ray Wise compose un vilain tout aussi savoureux.
En conclusion, Twin Peaks : Fire Walk With Me est un film difficile, mais inégalable et inoubliable.
FNC 2025 – La projection spéciale de Fire Walk With Me donnera le coup d’envoi officiel de la Grande nuit Twin Peaks, le 11 octobre — tous les détails et informations pratiques ici.
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