À l’aube du Code Hays, les cinéastes américains avaient déjà commencé à se réinventer et à faire preuve d’ingéniosité. Les films étaient remplis de personnages colorés et de situations cocasses. Le cinéma divertissait les gens, c’était sa mission première !
À peine deux ans avant de l’arrivée de la censure, paraissait sur les écrans le film qui allait grandement influencer The Rocky Horror Picture Show. Pourquoi ne pas profiter du Mois de la Fierté pour revenir aux sources de ce film culte en vous présentant The Old Dark House, de James Whale (Bride of Frankenstein, The Invisible Man, Frankenstein)? Ce film sorti en 1932 est un petit bijou oublié ! Entre humour et exagération, on ne s’ennuie pas une seule seconde : il mérite, lui aussi, le titre d’incontournable.
Qui est James Whale?
Né en juillet 1889 en Angleterre, il vivra une grande partie de sa vie aux États-Unis. Whale est non seulement un pionnier du cinéma de genre — on lui doit plusieurs classiques des débuts de l’horreur — mais il a aussi été un précurseur dans une autre sphère de sa vie. À la fin des années 1920, il rencontre David Lewis, producteur à Hollywood, avec qui il entretiendra une relation de 23 années. James Whale a toujours été honnête et ouvert sur son homosexualité, un fait rare à l’époque, et encore plus dans les milieux publics. Bien que ses dernières années aient été plus tourmentées, il n’en reste pas moins que James Whale a marqué le cinéma d’horreur… mais aussi l’histoire queer.
Mais quelle est l’histoire de The Old Dark House? C’est ici que commencent à pleuvoir les liens avec The Rocky Horror Picture Show!
Un couple et leurs amis se retrouvent coincés par un orage fulgurant lors d'une sortie nocturne en voiture. N’ayant d’autre choix que de se réfugier dans le premier endroit potable qu’ils trouvent, la petite bande cogne à la porte d’une imposante et vieille maison. Bercé par le tonnerre qui gronde à l’extérieur, le petit groupe d’amis vivra une nuit des plus étranges. Le domaine appartenant à la famille Femm, leur réserve plus d’une surprise...
Le titre du film dépasse largement sa portée narrative : The Old Dark House est aussi devenu le nom d’une trope fondatrice initiée par Whale. Une trope reprise, entre autres, dans The Rocky Horror Picture Show, mais aussi dans House of 1000 Corpses.
Mise à part l’homosexualité du réalisateur, vous vous demandez peut-être ce qui fait de The Old Dark House un film foncièrement queer? Eh bien, je vous ramène tout d’abord à mon article sur American Horror Story, dans lequel je proposais un bref contexte historique du terme. Rappelez-vous : aux débuts de son usage courant, « queer » désignait avant tout l’étrangeté. Et ici, Whale nous offre un véritable festival de bizarreries, ne serait-ce que par l’ambiance de son film et ses personnages excentriques!
Dans The Old Dark House, cette vieille maison devient un lieu sécuritaire. En fait, elle symbolise, à l’image, ce que l’on appellerait aujourd’hui un safe space. Cet endroit — matériel ou immatériel — où l’on trouve refuge, et dans lequel on peut avoir une confiance aveugle envers ceux qui nous entourent. Ici, le domaine appartenant à la famille Femm est littéralement un abri. Pris au cœur d’un violent orage, la troupe y cherche la sécurité. En choisissant d’entrer, le groupe juge que les gens qui les accueillent semblent dignes de confiance. Pourtant, dans cette comédie d’horreur, chaque personnage n’est pas tout à fait ce qu’il prétend être. Que signifient la sécurité, le refuge et la confiance dans ce contexte? À mon sens, l’image de la maison des Femm, dans une lecture queer, devient une critique de l’hypocrisie sociale et de l’homophobie.
Ne trouvez-vous pas que ce qui précède pourrait presque s’appliquer mot pour mot à The Rocky Horror Picture Show ? À la différence près que, dans ce manoir-là, chacun est pleinement lui-même, envers et contre tout. Étranges jusqu’au bout, et foncièrement queer.
James Whale semble fasciné par la monstruosité, par ce qui sort de la norme. Que ce soit avec Frankenstein ou ici avec The Old Dark House, le cinéaste a un talent pour représenter les marginaux de façon si touchante qu’on développe une empathie profonde pour eux, en tant que spectateur.
En fait, le film est queer-coded. Il s’approprie des codes et des clichés associés à la communauté queer et les réinvente. Plus de 90 ans après sa sortie, il est toujours possible d’y lire une œuvre libérée, queer dans son essence. Car c’est bien ce qui définit le mieux The Old Dark House, et ce qui nous en reste après le visionnement : le film est profondément libre. Sans censure, sans self-control chez les protagonistes. Tout y est possible, et quand on explore, on explore jusqu’au bout !
Dans cette idée d’un film totalement libéré, on retrouve aussi dans le film de 1932 une subversion des normes de genre et de sexualité. Une subversion qui structure la famille dysfonctionnelle des Femm. Cette fluidité dans la représentation des genres et des identités est au cœur même du concept queer : être queer, c’est se permettre d’être soi, sans se soucier des normes imposées !
Bref, je vous recommande chaudement The Old Dark House, un film pionnier à tant de niveaux, où l’humour est cinglant et les répliques acérées ! Il est disponible gratuitement sur YouTube.
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