THESECRETAGENT Still 02

[Critique] « The Secret Agent » : un thriller brésilien hypnotique entre mémoire, résistance et absurdité

Avec The Secret Agent (VQ: L’agent secret), Kleber Mendonça Filho signe un film rare, à la fois limpide dans ses émotions et indocile dans sa forme. Le cinéaste brésilien, dont la filmographie explore depuis longtemps la relation entre l’individu et les forces politiques qui l’écrasent, propose ici une œuvre profondément atmosphérique, où la mémoire se heurte à l’Histoire, et où un humour noir vient fissurer la gravité ambiante.

C’est un film construit comme une dérive maîtrisée : une succession de rencontres, de traces, de gestes ambigus, qui ensemble composent le portrait d’un pays fracturé.

1977 : une société sous pression, un homme qui tente de se reconstruire

The Secret Agent Poster ENG

La première partie du film nous plonge dans le Brésil de 1977, sous une dictature militaire qui a transformé la peur en réflexe quotidien. Armando Solimões, interprété par un Wagner Moura profondément intériorisé, retourne à Recife dans l’espoir de reconnecter avec son fils. Son arrivée marque d’emblée le ton du film : un cadavre abandonné sur le sol, ignoré, presque absorbé par le paysage, révèle la banalisation de la violence.
C’est une scène simple, mais d’une efficacité remarquable. En quelques secondes, Mendonça Filho exprime tout ce qu’il faut comprendre du contexte : la mort circule à ciel ouvert, et la population s’y est habituée.

Armando, qui vit désormais sous un nom d’emprunt, s’installe dans une pension tenue par Donna Sebastiana, personnage chaleureux mais entouré d’une microsociété fragile : réfugiés politiques, voisins méfiants…Chaque personnage semble porter l’empreinte d’un pays où il faut rester vigilant. Cette attention à l’environnement humain est l’une des forces du film : une tension diffuse, jamais criée, mais constamment palpable.

Chronique sociale, thriller politique et récit intime

L’intrigue s’élargit lorsqu’une étudiante en histoire découvre, dans les archives, des fragments de la vie d’Armando. Ces retours au présent sont brefs mais essentiels : ils permettent de comprendre que les événements vécus en 1977 n’ont pas disparu, qu’ils continuent de résonner dans la mémoire collective.
Le film fait ainsi dialoguer deux temporalités : l’époque de la dictature, où tout est danger, et le présent, où l’on tente d’en reconstituer les manques.

À mesure que le récit avance, la présence policière se fait plus oppressante. Mendonça Filho filme cette pression avec une précision presque documentaire : perquisitions arbitraires, intimidations, abus de pouvoir. Ce réalisme est ponctué de ruptures surprenantes, parfois absurdes, qui ne brisent jamais la crédibilité du film, mais viennent souligner combien la logique autoritaire est elle-même déformée, imprévisible.

Parmi ces moments inattendus, celui de la jambe retrouvée dans l’estomac d’un requin se distingue. D’abord anecdotique, l’idée devient un fil narratif improbable, presque grotesque, qui traduit l’instabilité d’un monde où la réalité se déforme sous la pression de la peur.

THESECRETAGENT Still 01

Le fantôme de Jaws : une métaphore discrète mais puissante

La présence récurrente de Jaws dans les salles de Recife est l’un des motifs les plus discrets mais aussi les plus signifiants du film. Mendonça Filho ne l’utilise pas seulement comme repère d’époque : il en fait un symbole à plusieurs niveaux.

Le requin de Spielberg devient l’image même de la dictature, une menace diffuse qui se déplace sans se montrer, frappe sans prévenir et parvient, par sa seule possibilité, à contrôler les comportements. La jambe retrouvée dans l’estomac d’un requin renforce cette lecture : elle évoque un pays qui tente d’engloutir ses disparitions, sans pour autant réussir à effacer les traces laissées par la répression. Pendant ce temps, le fils d’Armando, captivé par le film, incarne une génération qui grandit dans l’ombre d’une peur encore informulée.

Rien n’est souligné ou explicité : Jaws circule en filigrane, comme un langage partagé entre le cinéaste et le spectateur, capable d’éclairer la violence politique sans avoir besoin de la nommer.

THESECRETAGENT Still 03.jpeg

Une mise en scène élégante, ancrée dans l’histoire du cinéma

L’esthétique du film rend hommage au cinéma politique et paranoïaque des années 1970.
La photographie granuleuse, les couleurs légèrement ternies, les mouvements de caméra fluides et agité créent un univers visuel cohérent, à la fois réaliste et légèrement décalé.

L’agent secret est à la fois un thriller, une chronique sociale et un film sur la mémoire. Ce mélange pourrait être chaotique, mais Mendonça Filho le transforme en une œuvre cohérente, fluide et profondément humaine.
Son refus de simplifier, son attention aux atmosphères et sa manière d’aborder la politique sans discours appuyé en font un film très singulier.

Wagner Moura y livre une performance tout en retenue, parfaitement accordée à la mise en scène : celle d’un homme qui avance malgré la peur, malgré les pertes, malgré un pays qui semble vouloir l’avaler tout entier.

THE SECRET AGENT - Official Trailer - In Select Theaters November 26
Note des lecteurs0 Note
Pour les fans...
de cinéma politique et de thrillers atmosphériques
de Jaws et de symboliques cinéphiles inattendues
4
Note Horreur Québec

Zeen is a next generation WordPress theme. It’s powerful, beautifully designed and comes with everything you need to engage your visitors and increase conversions.

Abonnez-vous à notre nouvelle infolettre!