La Mere des Larves Maude Jarry

[Littérature] La mère des larves : l’enfer de la procréation à l’ère du paternalisme médical

Dans les dernières années, Mariana Mazza a su se montrer comme une critique littéraire passionnée et particulièrement articulée. Avec ses coups de cœur à l’émission Bonsoir, Bonsoir, sur les ondes d’ICI Radio-Canada Télé, l’humoriste crée des tempêtes dans les librairies québécoises! Son dernier ravage : La mère des larves. En rupture de stock dans plus d’un commerce, ce roman de Maude Jarry (Si j’étais un motel j’afficherais jamais complet ) délie les langues et ouvre la porte à de belles discussions nécessaires.

C’est avec beaucoup d’excitation que je me suis lancée dans cette lecture, une œuvre étrange comme seules savent nous les offrir les Éditions Ta Mère.

Dans la vie de Sarah, tout chie : son chum l’a laissée parce qu’il voulait des bébés, les chats l’attaquent sans raison, sa mère tente par tous les moyens de la convaincre de procréer et des douleurs abdominales atroces la frappent sans prévenir. Elle a beau répéter aux médecins qu’elle souffre, personne ne la prend au sérieux, jusqu’à ce qu’on lui découvre un mal envahissant qui pourrait bien, par un détour sinistre du destin, exaucer son souhait d’être stérile…

Les éditions Ta Mère dit de La mère des larves que c’est une tragi-comédie d’horreur, et, sincèrement, je ne pourrais catégoriser ce livre autrement. La trame narrative, principalement, est profondément ancrée dans un univers normal, un quotidien auquel plusieurs d’entre nous peuvent se raccrocher. Mais l’ingénieuse audace de Maude Jarry tient dans ces moments qui dérogent à la normalité.

La Mere des Larves Maude Jarry

Des péripéties à saveur de fever dream, qui sont incorporées dans le récit comme si c’était chose du quotidien de se faire traîner de force dans une retraite religieuse dans le bois pour se faire exorciser. L’autrice crée ainsi un niveau de malaise et d’horreur constant que l’on retrouve, au fil des pages, ici et là, dans les détails.

L’horreur ici tient, certes, à ces larves que l’on imagine aisément grâce aux descriptions et au jargon médical qui nous fait comprendre à quel point l’utérus de Sarah est une zone aride. Mais cette horreur tient surtout à la critique féministe du paternalisme médical que nous livre Jarry à travers les mots de sa protagoniste. Avec de belles touches d’humour et de sarcasme, l’autrice soulève l’enjeu majeur de notre société quant au choix des femmes de disposer de leur corps comme bon leur semble, particulièrement lorsque l’on parle de procréation.

Sarah ne veut pas d’enfant, pour elle, c’est clair comme de l’eau de roche. Pourtant, alors même qu’une opération doit lui être faite dans ses organes reproducteurs et que la jeune femme soulève son désir d’hystérectomie, on le lui refuse. Pourquoi? Tout d’un coup qu’elle changerait d’idée, voyons!

Entre les lignes, Maude Jarry soulève une question majeure : pourquoi, en 2025, c’est encore au médecin (souvent homme) de choisir si une femme veut se faire stériliser ? Parce que oui, plus d’une fois, on tente de convaincre Sarah que ce n’est pas ce qu’elle veut, devenir stérile, que c’est juste une passe, qu’elle n’a pas rencontré le bon gars, etc. L’horreur nous traverse lorsque l’on réalise que ce n’est pas une dystopie qu’on lit, mais bien un récit commun pour la portion de la population possédant un utérus. Souvent, on oublie cet aspect dans notre lecture et une phrase ici et là nous ramène à la violente réalité. Ainsi, Jarry renforce ce niveau d’inconfort constant que je mentionnais plus haut.

Il ne faudrait pas oublier Maryse, la mère de Sarah. Cette femme est, bien honnêtement, un beau matériel à cauchemar. Égocentrique, complètement « virée sur le top » avec la religion et la spiritualité, imposant ses désirs à autrui, se rendant même à la violence psychologique sévère pour faire comprendre aux gens qui l’entourent que ses désirs sont des ordres. Elle est à l’image de ces vilaines sorcières des contes de Disney, ingrate et intolérable.

Dans son sinistre manège, elle fera naître, sans le vouloir, une profonde complicité entre ses filles. Ainsi, Sarah et Marie-Anne, sa sœur, créent une sororité tissée serrée et perméable à tous les drames, tant qu’elles sont ensemble et là l’une pour l’autre. Comme quoi, la solidarité l’emporte toujours. En bref, dans un corps hostile et une relation houleuse avec sa mère, c’est dans les souvenirs de sa grand-mère et dans les rires avec sa sœur que Sarah parvient à nous faire oublier l’horreur de sa vie.

Réinventer l’horreur par le féminisme, voilà ce que nous propose Maude Jarry en nous révélant une plume puissante, intelligente et comique! Elle est très certainement une autrice à suivre!

La mère des larves
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Pour les fans...
des éditions Ta Mère
horreur féministe
4
Note Horreur Québec

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