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[Fantasia 2025] « Sweetness » : le vertige de l’obsession adolescente

Présenté cette année en première au Festival Fantasia, Sweetness, écrit et réalisé par Emma Higgins, s’inscrit dans la longue tradition du thriller psychologique minimaliste, à la croisée des chemins entre l’intimiste et l’angoissant. Produit au Canada sur un budget modeste, le film réussit à imposer un ton singulier, explorant les dérives émotionnelles de l’adolescence avec une sensibilité à la fois brute et retenue.

Le récit suit Rylee Hill (Kate Hallett), 16 ans, adolescente solitaire et en colère, qui trouve refuge dans la musique de Payton Adler (Herman Tømmeraas), chanteur charismatique du groupe Floorplan. Pour Rylee, les paroles de ses chansons semblent combler un vide que personne d’autre n’atteint. Lors d’un concert, une rencontre inattendue avec son idole fait basculer son fantasme en réalité. Confrontée à la déchéance de Payton, toxicomane désespéré, elle décide de le “sauver” en le séquestrant chez elle pour le forcer à se désintoxiquer. Le rêve d’une adolescente s’effondre, ce qui devait être un geste de dévotion vire alors au contrôle. Le rêve se transforme en emprise.
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Dès les premières scènes, Sweetness convoque un imaginaire familier : une banlieue calme, une tension qui s’installe lentement, et une relation toxique qui évoque inévitablement Misery de Rob Reiner. Mais plutôt que de s’en tenir au simple clin d’œil, Higgins réinvente les codes du genre en instaurant une ambiance feutrée et psychologique, où l’angoisse s’infiltre progressivement à travers les silences et les micro-gestes.

La performance de Kate Hallett porte le film. Dès l’ouverture, on la découvre absorbée par un tutoriel de séduction qu’elle répète devant les posters de son idole, geste adolescent d’un désir encore confus, entre besoin d’être vue et peur d’être rejetée. Hallett livre un jeu d’une justesse rare, oscillant entre vulnérabilité, agressivité contenue et tristesse rentrée. Elle incarne à la perfection cette période charnière où le monde intérieur déborde, sans guide ni garde-fou.

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Face à elle, Herman Tømmeraas incarne un Payton tout en ambivalence. Star déchue, il devient au fil du récit une sorte de final girl inversée, figure masculine prise au piège d’un regard féminin qui l’idéalise autant qu’il le détruit. Sa silhouette, tatouée, fragile et androgyne, évoque autant Trent Reznor que Harry Styles, une esthétique où désir, douleur et ambiguïté se confondent. Le film interroge ainsi le fantasme adolescent avec lucidité :

Do you want to fuck him, or become him?

La pulsion de possession devient une stratégie de survie, un moyen de se reconstruire à travers l’autre.

Le scénario opte pour une approche psychologique, où l’horreur n’est jamais frontale mais psychique, une forme de terreur douce, à retardement.

La photographie, brute et naturaliste, renforce cette tension diffuse. Higgins choisit l’épure pour mieux concentrer l’attention sur les visages, les corps, les silences. Ce dépouillement formel est contrebalancé par un sens du détail frappant dans les costumes : entre esthétique emo, accents deux-mille, et touches de maximalisme visuel, Sweetness affirme sa contemporanéité avec une clarté rare. Comme les films d’horreur des années 80 ou 90, il crée une identité visuelle forte — mais au service de l’intime.

En profondeur, le film se construit comme une méditation sur la solitude, le culte de la célébrité, et les glissements insidieux du fantasme vers la domination. Higgins ne juge jamais ses personnages : elle les observe, avec une empathie lucide, dans leurs contradictions les plus inconfortables. Rylee n’est ni un monstre, ni une victime : elle est une adolescente en rupture, qui confond amour, admiration et pouvoir. Payton, lui, n’est jamais réduit à une icône ou à une victime sacrificielle — il incarne la complexité d’un corps désiré, puis rejeté.

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Sans chercher à révolutionner le genre, Sweetness en propose une lecture personnelle et maîtrisée. Higgins livre un premier long métrage troublant, ancré dans son époque, qui conjugue justesse psychologique, tension narrative et regard féminin affirmé. Une œuvre juste, qui mérite qu’on s’y attarde.


À l’occasion du Festival Fantasia 2025, nous avons rencontré Emma Higgins, scénariste et réalisatrice de Sweetness, afin d’évoquer son premier long métrage, ses inspirations et les défis rencontrés lors du tournage.

[Entrevue] Fantasia 2025 : rencontre avec Emma Higgins autour de son film Sweetness
Note des lecteurs3 Notes
Pour les fans...
des films Misery, The Nightingale ou encore Swallow
de récit d’emprise et de dépendance émotionnelle
de cinéma canadien indépendant
3.2
Note Horreur Québec

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