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Comprendre le Wendigo de «L’Inhumain» avec le cinéaste québécois Jason Brennan [Entrevue]

Dans L’Inhumain, un neurochirurgien autochtone doit faire face à ses démons en retournant dans sa réserve natale après la mort de son père. Une fois sur place, l’étrange créature qui le hantait dans sa jeunesse semble de nouveau à ses trousses.

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Horreur Québec a profité de la sortie en vidéo sur demande du film d’horreur québécois pour discuter avec son réalisateur Jason Brennan, qui signe ici son tout premier long-métrage sur fond de légendes des Premières Nations:


Horreur Québec: Pour vous, aujourd’hui en 2022, c’est quoi le Wendigo?

Jason Brennan: C’est l’espèce d’être et d’ambiance qui consomme notre humanité. En ce moment, je trouve que c’est les téléphones cellulaires. Le Wendigo prend plusieurs formes, comme les téléphones qui vont offrir plusieurs choses, dont l’accès aux réseaux sociaux.

HQ: Plusieurs films abordent le mythe de Wendigo. Selon vous, qu’est-ce qui différencie votre approche de celle des autres?

JB: Je l’ai raconté à travers un point de vue autochtone, comme mon père me l’a raconté à moi. La première fois que j’ai entendu parler du Wendigo, c’était un peu comme une blague dans le genre de l’histoire du Bonhomme Sept Heures, qu’on nous a raconté autour d’un feu à mes cousins et moi.

Ensuite, j’ai perçu des brides ici et là par des aînés qui croyaient avoir vu le Wendigo. Il y avait aussi cette histoire qui disait que certaines personnes avaient été possédées par un Wendigo.

Les légendes des Premières Nations sont souvent des métaphores face à la vie et c’est ce que je voulais aborder. Les aînés avaient prédit que la déchéance de la culture allait survenir lorsque les intérêts individuels allaient passer avant ceux de la communauté. C’est un peu ça le Wendigo, et je trouvais ça fascinant.

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L’acteur Samian incarne un neurochirurgien dans L’Inhumain.

HQ: Le film montre que pour un membre des Premières Nations ayant de grandes ambitions, cette même réserve qui était autrefois un refuge peut devenir une prison. Vous abordez ce questionnement. Le personnage cherche définitivement sa place entre les deux univers.

JB: Je me suis basé sur mon expérience. On passe une partie de notre vie en communauté, mais à un certain moment, il faut la quitter pour étudier. On a le choix entre continuer ou adopter une vie plus «blanche» et laisser de côté nos origines. Il y a plus de possibilités qu’avant dans les communautés, mais les ressources ont une limite. Pourtant, si on reste dans la communauté, il faut admettre qu’on connaît mieux notre place culturellement.

Le Wendigo se manifeste quand il trouve justement un être perdu, questionnant sa place dans la société. Il peut être lié à la perte de la culture, de la langue et de la connexion avec nos origines. C’est souvent plus facile de vivre comme les Blancs le font.

Mon héros consomme de la drogue, il a une maîtresse, et il vit dans le luxe pour combler certains vides.

HQ: Toujours dans cette optique de différencier les deux modes de vie, votre film dresse une grande opposition entre la campagne et la ville.

JB: L’isolement en forêt fait remonter tout ce que tu refoules. Ton cerveau travaille vite et se met à te jouer des tours. Quand on se retrouve seul en forêt, notre esprit devient très actif. La dualité entre la ville et campagne est présente dans mon film. Mon personnage quitte une vie à problèmes pour faire face à ses démons en forêt. C’est un trait culturel des Premières Nations aussi. On entend souvent un autochtone dire qu’il a besoin de retourner dans la forêt pour se ressourcer et trouver des réponses à ses questions.

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Sur le plateau de tournage de L’Inhumain.

HQ: Est-ce que les questions que se pose votre personnage, notamment face à un traumatisme d’enfance avec le Wendigo, ne sont pas un peu la raison de son choix de carrière? Il est devenu un neurochirurgien pour se rassurer et rationaliser son traumatisme?

JB: C’est exactement ça. Son choix de carrière est alimenté par sa jeunesse. Son père ne lui avoue jamais entièrement ce qui se passe pour le protéger, et il essaie de trouver une réponse dans des études, alors qu’il s’isole.

Il y a plein de petites subtilités dans le film que les connaisseurs du mythe vont percevoir. Le Wendigo est encore un sujet très tabou à certains niveaux. Pour plusieurs personnes, la question de son existence ne se pose pas. Les plus initiés vont comprendre la créature, comment elle bouge et son apparence. Mon Wendigo n’a pas de lèvres parce qu’une des personnes m’ayant raconté l’histoire m’a mentionné que ses parents lui avaient dit que la créature avait mangé ses propres lèvres.

HQ: Est-ce que le budget du film vous a permis de montrer le monstre exactement comme vous le vouliez?

JB: Il est comme je le voulais, d’après les récits que j’ai entendus. C’était un monstre grand et rachitique. Je voulais montrer que la créature avait quelque chose d’humain. Plusieurs récits mentionnent que les gens l’ont entendu sans le voir, et il y a aussi cette idée qu’elle peut changer de forme.

HQ: Comment avez-vous abordé Samian, qui est figure iconique pour les Premières Nations?

JB: Le film n’a pas été financé tout de suite, ça faisait donc longtemps que je lui en parlais. Il avait lu le premier scénario et le trouvait bien, mais il n’était pas aussi présent que maintenant dans le milieu artistique. C’est un grand défendeur de talents autochtones et il est prêt à aider d’autres artistes. Il a hésité un peu, car il voulait que le film soit bien fait, mais il a fini par embarquer. Quand je lui ai présenté ce que je voulais faire avec préparation, il s’est donné à fond.

HQ: La première chose qu’un fan de films de genre québécois se dit en voyant le film, c’est qu’il ressemble aux produits de qualité que nous livre depuis quelques années le studio A24.

JB: C’est un très grand compliment. Je ne suis pas un fan de film juste gore. Je veux avoir peur, mais avec un film qui a un fond. J’aime ce qu’on appelle en anglais les «mindfuck». Je pense aux premiers Jordan Peele, à Flatliners ou Vanilla Sky et je suis aux anges. J’aime ça, les longs-métrages qui sont comme un manège. Je voulais faire un film profond et intelligent.

Je t’avoue que j’avais un peu la chienne quand le film Antlers est sorti l’an dernier, mais j’ai tellement baigné dans le sujet que j’avais espoir. Les personnages du film font tous partie de ma vie. Ils m’ont tous été inspirés par des personnages que j’ai connus. Pour moi, ça rajoutait une réalité.

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HQ: L’Inhumain est à la fois un film d’auteur et un film de genre. C’était doublement risqué pour un film québécois.

JB: J’avais une quinzaine de salles. Ce qui a été dur pour moi, c’est que le film a été à l’affiche une semaine, et je suis tombé sur la plus belle fin de semaine de l’été au niveau de la température. Donc, nous n’avons pas rempli les salles. Mais depuis qu’il est disponible en vidéo sur demande, plusieurs personnes me disent qu’elles l’ont aimé.

HQ: Peut-on s’attendre à voir un autre film de genre de votre part?

JB: Oui. Je ne sais pas si ce sera un film ou une série, en anglais ou en français, mais ça va aborder un phénomène extra-terrestre à travers une perspective autochtone.


L’Inhumain est disponible en vidéo sur demande dès maintenant.

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