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L’horreur est-elle véritablement un genre cinématographique et littéraire?

C’est quoi cette question? Bien sûr que l’horreur est un genre, se diront certaines et certains d’entre vous. Vraiment? Pas pour tout le monde, du moins en littérature. Rares sont les librairies qui ont une section consacrée à l’épouvante et à l’horreur, les romans flirtant avec ces genres se retrouvant plutôt dans les sections « policier », « thriller » ou bien « fantastique ». Sinon, avez-vous remarqué que la maison d’édition québécoise Alire — spécialisée dans les littératures de l’imaginaire et dans d’autres genres comme le polar ou le roman d’espionnage — n’a aucune collection consacrée à l’horreur?

Quoi?! La maison d’édition qui a publié la majorité des livres de Patrick Senécal n’a pas de collection « horreur »? Eh non… ses romans se retrouvent plutôt dans les collections « fantastique » (Sur le seuil) ou encore « polar/noir » (Les Sept Jours du talion). Comment est-ce possible? Dans le cadre de la préparation d’un balado enregistré l’année dernière, j’ai posé la question au président et cofondateur d’Alire, Jean Pettigrew.

Nous publions ce qu’on appelle les genres littéraires et pour moi, mais aussi pour plusieurs spécialistes, l’horreur n’est pas un genre, l’horreur est plutôt une couleur. 
– Jean Pettigrew

Voilà, le chat sort du sac! Mais, si l’horreur n’est pas un genre, c’est quoi alors? « L’horreur est quelque chose qui s’ajoute à un genre littéraire », précise l’éditeur. Ainsi, un roman réaliste, fantastique ou encore de science-fiction peut aussi être horrifique.

Les multivers du genre

Travaillant dans le domaine des genres littéraires depuis une quarantaine d’années, Jean Pettigrew explique que cette idée que l’horreur est une couleur lui a été confirmée en 1993 avec la parution de l’essai Les 42 210 Univers de la science-fiction de Guy Bouchard. En plus d’y définir toutes les permutations possibles de la science-fiction (comme le titre l’indique), ce professeur de philosophie a fait de même avec la fantasy, ainsi qu’avec le genre réaliste.

Pour illustrer son propos, Jean Pettigrew prend l’exemple du roman La peau blanche de Joël Champetier, où un étudiant en littérature tombe amoureux d’une succube.

Quand on commence, on est dans un roman réaliste. Un moment donné, on tombe carrément dans ce qu’on appelle la romance. Puis, on passe à une autre étape et ça devient du fantastique.
– Jean Pettigrew

C’est à partir de cet instant que la couleur horrifique embarque, explique Jean Pettigrew, tout en précisant que le roman se termine sur une explication « vraisemblable », flirtant alors plutôt avec la science-fiction.

De genre fluide

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Invité à répondre à cette question lors d’une édition de L’Étrange programme consacrée à l’horreur et à l’épouvante, l’auteur d’horreur queer Philippe-Aubert Côté dit ne pas adhérer à cette thèse.

« Je suis de l’école que c’est un genre littéraire ou cinématographique », explique l’auteur dont les premiers romans ont été publiés chez Alire.

Je comprends d’où vient l’idée que ça peut être une saveur. J’ai peut-être même pensé ça à une époque, mais il y a quelque chose qui me dérange là-dedans.
– Philippe-Aubert Côté

L’horreur est donc pour lui un genre en soi, avec une dynamique particulière, mais qui, admet-il, peut avoir besoin de s’enraciner dans d’autres genres pour fonctionner. « Inversement, on peut prendre certains éléments qui sont propres aux récits d’horreur et les transporter dans d’autres genres aussi », ajoute Philippe-Aubert.

« L’horreur, ça peut être un vernis qui ajoute à d’autres genres », renchérit l’autrice de nouvelles horrifiques Anne-Marie Bouthillier également au micro de L’Étrange programme. Et en ce qui concerne le cinéma, l’autrice soutient que les scènes horrifiques sont parfois plus efficaces quand elles ne sont pas dans un film d’horreur. « Là, ça va vraiment venir me marquer », dit-elle.

Bien que comme Philippe-Aubert et Anne-Marie, elle considère que l’horreur est un genre, la cinéaste Izabel Grondin regrette qu’on qualifie « d’horreur » certains films, comme Titane de Julia Ducournau ou encore le cinéma de Dario Argento. Ce ne sont pas des films d’horreur, selon elle.

C’étaient des polars italiens que faisait Argento, sauf que lui, ses scènes de meurtres duraient deux minutes de plus que les autres.
– Izabel Grondin

Les ingrédients de l’horreur ne se retrouvent pas nécessairement dans l’histoire, mais plutôt dans le traitement — au cinéma du moins —, ajoute la cinéaste.

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De gauche à droit : Jason Paré, Izabel Grondin, Anne-Marie Bouthillier et Philippe-Aubert Coté.
Photo : Audrey Massé

Une stratégie de mise en marché?

Avant d’être un genre, est-ce que l’horreur serait une catégorie favorisant la mise en marché d’une œuvre? Un peu comme les catégories qu’on retrouvait dans les clubs vidéo où les films étaient classés dans des sections telles que « comédie », « action » ou encore films québécois et films étrangers?

« C’est une question de mode », croit Jean Pettigrew. Ainsi, même si pour certaines et certains spécialistes, l’horreur n’est pas un genre, d’un point de vue marketing, l’approche est différente, dit-il. Comme les gens s’intéressent à l’horreur et que ça marche actuellement, les éditeurs proposent donc des romans horrifiques aux lectrices et lecteurs.

Une popularité que Philippe-Aubert Côté observe dans les salons du livre où des files, voire des foules s’amassent devant les kiosques qui proposent des romans horrifiques. Il constate d’ailleurs lors de ces événements littéraires que la science-fiction n’attire pas autant de gens. Même dans son cas, les visiteuses et visiteurs l’interrogent plus à propos de ses nouvelles horrifiques, plutôt que de lui parler de ses romans de science-fiction.

Et pourquoi l’horreur fonctionne mieux que la science-fiction?

La science-fiction, c’est une littérature d’idées et il y a à peu près 10 % des humains qui s’intéressent aux idées.
– Jean Pettigrew

Une littérature de genre, genrée?

Résoudre des problèmes, exorciser des peurs et des traumas, expliquerait la popularité de l’horreur auprès de certaines lectrices et certains lecteurs, explique Anne-Marie Bouthillier.

Un récit qui prend sa base dans la réalité la rejoint d’ailleurs davantage, mentionne l’autrice pour expliquer pourquoi elle est moins attirée par la science-fiction. Idem pour Izabel Grondin qui préfère l’horreur qu’elle qualifie de « véridique » et qui lui fait sentir davantage de la peur que l’horreur surnaturelle.

Le fantastique va chercher nos craintes dites immémoriales, plus du côté du « surnaturel », alors que l’horreur, c’est le quotidien.
– Jean Pettigrew

Mais peu importe le genre, Jean Pettigrew soutient qu’il y a environ deux fois plus de femmes qui lisent des livres que d’hommes. Cela expliquerait pourquoi la science-fiction fait moins de ventes que l’horreur, puisque les femmes s’y intéressent moins.

« Les gars, pour différentes raisons, ont plus tendance à favoriser l’action et les idées, alors que les filles, ce sont plus les sentiments », dit-il pour expliquer cette différence, conscient que ses propos peuvent choquer. Il précise d’ailleurs que cela ne veut pas dire pour autant que les femmes ne s’intéressent pas aux idées.

Pour preuve, cette tendance des lectrices à se désintéresser de la science-fiction serait moins forte chez Alire. La raison? Parce que plusieurs des auteurs qui publient de la science-fiction chez Alire sont… des autrices!

Cette forte présence féminine parmi les autrices et auteurs de science-fiction chez Alire leur permettrait d’atteindre une quasi-parité de lectrices et de lecteurs pour ce genre. En comparaison, 75 % du lectorat de science-fiction en France seraient des hommes.

Le besoin de réalisme exprimé par Anne-Marie et Izabel ressemble à ce qu’on entend également au sujet du true crime, plus populaire chez les femmes que les hommes – à l’instar de l’horreur –, bien que dans les deux cas, l’écart ne soit pas énorme.

Pour Izabel, la raison de cet intérêt plus grand des femmes pour le true crime et l’horreur est évidente.

C’est qui les victimes principales des violences racontées dans ces histoires? Ce sont les femmes.
– Izabel Grondin

Les femmes se sentiraient ainsi plus interpellées par le true crime et l’horreur parce qu’elles pourraient être les victimes des crimes relatés.

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