L’été dernier, je me suis plongée dans Highlands – c’était mon premier roman de Fanie Demeule. C’est là que je suis tombée en amour avec la plume affûtée de cette sorcière des temps modernes. Sous le thème de l’horreur, Demeule soulève des enjeux féministes marqués et plus qu’importants ces jours-ci, avec le chaos politique tant américain que canadien. C’est une autrice que j’affectionne particulièrement : elle fait vivre l’héritage de la chasse aux sorcières dans ses livres en illustrant si bien l’écoféminisme. Il y a quelques semaines, l’autrice a fait paraître son plus récent ouvrage Du ventre des montagnes, publié chez Québec Amérique. Ma session universitaire terminée, cette lecture était ma récompense pour toutes mes heures d’études!
À la suite d'un tragique accident, Nan Sappo traverse les mystérieux bois du Kavela. Sa mission : atteindre le sommet d'Eien, le mont le plus haut de ces forêts sombres, afin de renverser la vapeur et annihiler les conséquences de cet accident. Seulement, personne ne revient vivant de ce périple. Nan tentera le tout pour le tout afin de rétablir l'équilibre des choses, mais joue-t-elle trop violemment avec le feu? Du ventre des montagnes réinvente le conte, le transformant en récit obscur où se mêlent sang et amour inconditionnel et dans lequel la sensualité est omniprésente, mais surtout dérangeante – dans le meilleur sens du terme, chers fans d’horreur! Nan survivra-t-elle à son voyage? Se pardonnera-t-elle ses erreurs? Mais surtout, comblera-t-elle cette faim obsédante?
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Pour bien saisir l’univers de Fanie Demeule et, du même coup, saisir la profondeur de son écriture, il faut connaître la base du concept d’écoféminisme. L’écoféminisme est probablement l’écho le plus frappant de la chasse aux sorcières dans les mouvements féministes contemporains. Grosso modo, l’écoféminisme reconnaît que notre société s’appuie sur une triple domination/exploitation, soit celle de la nature, des femmes et des minorités. Dans Du ventre des montagnes, l’autrice représente ces trois dominations assez clairement. Elle prend ainsi la parole avec son œuvre et milite grâce à ses mots. C’est l’un des aspects que j’aime le plus chez Demeule : sa rage féministe comme moteur de création.
Fanie Demeule réinvente l’horreur. Oui, oui, rien de moins. Avec son écriture, on comprend rapidement que l’horreur sert principalement à mettre de l’avant des enjeux contemporains et féministes. Elle exacerbe l’abomination humaine par la fiction, pour faire résonner l’aversion du réel avec encore plus de force, voici la force de l’autrice. Sa plume affûtée, poétique et profondément intelligente n’enlève rien aux scènes macabres qu’elle nous décrit, bien au contraire. Cette plume raffinée permet de mettre les mots justes sur les cauchemars illustrés. Je vous le dis : frissons de dégoût assurés!
L’autrice nous livre ici un roman poignant et enivrant, bien qu’assez corsé à lire. À mon sens, dans ce roman, on est au cœur d’un récit initiatique. L’intrigue progresse par et au gré des rencontres d’autres personnages. Des personnages qui font naître en Nan une faim encore plus immense de rencontre en rencontre, créant ainsi une (anti)héroïne complexe, nuancée, horripilante, mais attachante. Tout comme dans St-Kilda et Highlands, la sororité est au cœur du conte noir que nous offre Demeule.
Fanie Demeule porte une attention particulière aux sensations, à un point tel qu’en tant que lecteur·rice, on emprunte le corps de Nan Sappo et on vit avec elle (et en elle) l’attirance de la répulsion. Au fil des pages, on en vient presque à entendre le vent dans les arbres, la neige sous les pas, les corbeaux crier, la pluie tomber. Tour à tour, on voit et on se promène dans les noirceurs les plus opaques. Du ventre des montagnes devient alors une expérience sensorielle, aux limites du charnel. La passion de la chair ici prend une tout autre signification. À travers notre lecture, on en vient à se questionner sur notre propre santé mentale au fil des élans ravageurs de Nan. J’étais à la fois lectrice inconfortable et fanatique d’horreur plus que comblée par ces sensations en moi lors de ma lecture.
Sache qu’il y a l’avant et qu’il y aura l’après. Et que tu ne pourras revenir en arrière. Une fois cette nuit terminée, Nan Sappo, à jamais tu seras autre.
Ici, on se questionne aussi sur la maternité et le désir (et le choix d’enfanter ou non). Pourquoi une femme portant la vie devient-elle automatiquement vénérée? Pourquoi obtient-elle plus de valeur le temps de la gestation (parce que oui, Demeule utilise le terme « gestation », nous rapprochant donc de la bête, de l’animal que devient Nan par ses actions)? Ces questions nous suivent de page en page tout au long du récit, comme quoi Fanie Demeule maîtrise l’art de militer et de questionner à travers la fiction!
Je vous recommande fortement ce nouveau bijou de l’autrice! Il n’a fait que renforcer mon amour pour sa plume! Armez-vous d’un dictionnaire, par contre, parce que Fanie Demeule élargira très certainement votre vocabulaire!
Du ventre des montagnes est disponible dans toutes les bonnes librairies et sur prêt numérique de plusieurs bibliothèques! Bonne lecture!
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