François Blais était un écrivain des plus talentueux. Ne s’accommodant pas des cadres établis, Blais nous a offert au cours de sa vie des œuvres hétéroclites, étranges, intrigantes et tellement originales. Chacune de ses œuvres est porteuse d’un sens bien plus grand qu’il n’y paraît, ou peut-être, est-ce dû au fait que j’ai découvert son écriture alors qu’il n’était déjà plus de ce monde.
La vie de l’auteur s’est achevée brutalement. Le 14 mai 2025 marque déjà le troisième anniversaire de sa mort. En mai 2022, François Blais s’est enlevé la vie, peu après avoir remis à son éditeur le manuscrit de son prochain roman, Le garçon aux pieds à l’envers. Il n’aura jamais vu le fruit de ce travail acharné aboutir.
Mais François Blais, c’est bien plus que son destin tragique. C’est avant tout une plume intelligente à l’humour futé. Tout comme ses personnages, l’auteur se promenait en dehors des sentiers battus, créait sa marque et sa voie. Il aimait raconter le récit de personnages qu’il qualifiait lui-même de « loosers », des protagonistes n’ayant rien à perdre, mais ne faisant pas grand-chose non plus pour se sortir de la banalité du quotidien.
Pour les fervent·es de littérature qui passeront par ici, il pourrait sembler surprenant de voir le nom de François Blais dans un article d’Horreur Québec… Et pourtant ! À mes yeux, l’un des aspects les plus sous-estimés de son talent, c’est justement sa capacité à susciter l’effroi.
Beaucoup le connaissent plutôt à travers Document 1 (Longueuil: Éditions L’Instant même, 2012) ou La seule chose qui intéresse tout le monde (Longueuil: L’instant même, 2021) — des romans absurdes, décalés, empreints d’un humour grinçant et d’une critique acérée du monde contemporain. Blais savait comme personne mettre en scène le vide existentiel avec ironie, comme en témoigne cette phrase tirée de Document 1, p. 25:
« On n’a jamais accompli quoi que ce soit, on n’est jamais allés nulle part, et la plus légère dérogation à nos petites habitudes nous amène au bord du désespoir. Ce que toi, lecteur, tu as coutume d’appeler “contretemps fâcheux”, “petit pépin”, “légère contrariété” ou “changement de dernière minute”, nous autres on appelle ça l’apocalypse. »
Mais derrière cette façade loufoque se tapit un écrivain capable de provoquer de véritables frissons.
Blais s’est prêté au jeu de l’écriture jeunesse plus d’une fois et, aussi surprenant que cela puisse paraître, ce sont souvent dans ces romans destinés aux jeunes lecteurs que se nichent ses histoires les plus sombres. Comme si la liberté créative que lui offrait l’imaginaire enfantin devenait un terrain de jeu idéal pour explorer la peur et l’étrangeté.
Et détrompez-vous : l’horreur jeunesse n’est pas réservée aux jeunes yeux curieux ! Elle a ce pouvoir de créer une ambiance forte sans tomber dans le gore, en jouant davantage sur les sensations, les non-dits, l’atmosphère. Quand je ne sais pas quoi lire, que je veux être happée par une histoire pleine de péripéties avec quelques bons frissons au passage, c’est souvent vers ce genre que je me tourne. François Blais en est un parfait exemple, mais il n’est pas seul : Hervé Gagnon, Carine Paquin ou encore Patrick Isabelle excellent aussi dans cet art subtil.
En 2019, Blais joint sa plume à la Collection Noire des éditions de La courte échelle avec son roman Lac Adélard. Une histoire de lac hanté, entrecoupée de sombres illustrations. Comme plusieurs de ses livres, Lac Adélard est recommandé par Les Libraires.
Puis, en 2022, paraît son fameux roman posthume, Le garçon aux pieds à l’envers. Encore aujourd’hui, alors que j’ai lu ce livre il y a bientôt deux ans, c’est l’un des premiers titres que je donne lorsque l’on me demande des recommandations de lecture. Oui, c’est un livre jeunesse, mais c’est un livre que j’ai dû refermer quelques fois pour reprendre mon souffle. Il se dévore bout à bout en une seule séance de lecture tant il est bon et prenant.
On sent la détresse de Blais à travers ses mots, et c’est une des raisons pour lesquelles ce livre a fait polémique lors de sa sortie. Ça, et le sujet du livre… Il y est question de suicide. Certains médias se sont révoltés lors de sa parution. La question au centre de la polémique cherchait à savoir si le fait de publier un livre jeunesse parlant de suicide, écrit par un auteur s’étant enlevé la vie, revenait à promouvoir cet acte. Heureusement, la polémique n’a pas empêché ce roman de voir le jour et de se retrouver, lui aussi, dans les recommandations des Libraires.
Si François Blais assume une horreur plus explicite dans ses romans jeunesse, c’est dans ses autres livres qu’il dévoile l’absurdité profonde de la condition humaine. À mon sens, c’est une manière de faire de l’horreur intelligente. Son livre Les rivières suivi de Les montagnes : Deux histoires de fantômes en est le parfait exemple. Blais livre deux histoires marquantes qui révèlent toute l’étendue de son talent stylistique. La première se déroule dans un centre d’achat où une fillette disparaît. Le récit bascule d’un point de vue à l’autre, le narrateur s’immisce dans la tête de plusieurs personnages, brouillant les pistes. Cette construction labyrinthique rend presque impossible pour le lecteur d’identifier clairement le prédateur, tout en renforçant le sentiment d’urgence et de panique.
La seconde, plus classique dans sa forme, est une histoire de fantôme. Mais loin d’être banale, elle déploie une atmosphère maîtrisée et saisissante, confirmant la finesse de Blais dans l’art de l’inquiétude feutrée.
François Blais était un auteur hors pair, un conteur talentueux, et je vous invite fortement à vous plonger dans ses écrits. Sans surprise, ma grande recommandation serait Le garçon aux pieds à l’envers !
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