candyman 2021

[Critique] Candyman (2021): un miroir dans lequel la franchise dit cinq fois son nom

Note des lecteurs35 Notes
4
Note Horreur Québec

Candyman est l’un des grands films d’horreur du début des années 90. Librement adapté d’une nouvelle de Clive Barker, il proposait une perspective d’outsider sur les projects de Cabrini-Green, à Chicago. On y suivait Helen Lyle, une anthropologue (blanche) qui se frottait à la légende de Candyman, esprit vengeur né des suites d’un lynchage. Si le film de Bernard Rose pouvait parfois être maladroit dans l’aboutissement de ses thèmes, son romantisme macabre, sa mise en scène exploitant l’architecture embourgeoisée de Chicago pour créer des espaces liminaux ainsi que la performance incroyable de Tony Todd en ont fait un classique unique en son genre.

Les deux suites parues dans les années suivantes, elles, ont un peu (beaucoup, dans le cas du troisième volet) échappé la balle. Il était donc excitant de voir la franchise renaître de ses cendres après des décennies d’absence, particulièrement via le point de vue d’artistes noir.es. Bien sûr, le nom de Jordan Peele a été fortement associé au projet par le département marketing d’Universal et le réalisateur de Get Out a bel et bien participé à l’élaboration du scénario. Mais ce film, c’est celui de Nia DaCosta (Little Woods). Âgée de 29 ans au moment du tournage, celle qui a la distinction d’être la première femme noire à réaliser un film d’horreur de studio (!!) propose une vision incroyablement riche, détaillée et créative. D’une durée de 91 minutes, le résultat pourrait vous donner le tournis.

candyman yonesheet

Dans son film, on s’intéresse à un couple formé par Anthony (Yahya Abdul-Mateen II) et Brianna (Teyonah Parris), respectivement peintre et directrice d’exposition. Ayant connu le succès, Anthony mène un mode de vie affluent. Il habite à Cabrini-Green, dont l’embourgeoisement a bien avancé depuis 1992: le quartier est désormais un centre névralgique pour les millénariaux. Alors que sa carrière artistique traverse une période de sécheresse, Anthony entend pour la première fois la légende de Candyman: dites son nom cinq fois dans le miroir… Les macabres détails l’inspirent et il se met à produire frénétiquement sur le sujet, au grand dam de Brianna qui y voit de l’appropriation. Bientôt, les nouvelles créations d’Anthony serviront de tremplin à l’invocation de Candyman et déchaineront une vague de violence autour du peintre, qui perdra progressivement la raison…

Candyman fait le récit d’un cycle de violence aussi vieux que l’Amérique, et le nouveau film cherche à proposer un métacommentaire sur sa représentation. DaCosta et Peele réfléchissent à leur responsabilité en tant qu’amplificateurs de cette douleur noire, mais aussi à leur place dans une industrie monétisant le trauma qui en résulte et exigeant des artistes racisé.es qu’ils l’engagent dans leur oeuvre. Le personnage d’Anthony, qui est peintre tout comme Daniel Robitaille (Tony Todd) le fut de son vivant, sombre dans une spirale d’obsession autour de Candyman. Il subira une série de transformations dégueulasses.

C’est l’un des nombreux thèmes fascinants parcourant le film de DaCosta, qui se réapproprie le mythe sans s’excuser. Candyman possède une forte charge satirique. La cinéaste procède même au recadrage de la légende d’origine: il n’y a plus seulement l’esprit de Daniel Robitaille qui hante Cabrini-Green, mais bien ceux d’une pluralité d’hommes noirs tués dans des crimes racistes. Au fil du récit, la figure de Candyman va acquérir une nature distincte de celle qu’on a connue jusqu’ici.

Comme Rose avant elle, DaCosta base sa mise en scène sur l’espace. La cinéaste et son directeur photo John Guleserian exploitent l’architecture moderne de Chicago ainsi qu’une série d’installations artistiques pour proposer une esthétique expressionniste saisissante, qui rappelle les plus beaux excès italiens. Son film est construit comme un immense labyrinthe aux miroirs, multipliant les symétries et profitant de chaque surface réfléchissante comme d’une nouvelle façon de conjurer l’invisible. Sa façon de mettre en scène la violence cadre avec le projet du film: elle mise sur des effets de distanciation lors des scènes de meurtres. Les apparitions de Candyman sont d’une beauté funeste qui n’a rien à envier au film original, nourrie par l’intense trame sonore de Robert Aiki Aubrey Lowe.

Franchement, un visionnement n’est peut-être pas suffisant pour saisir toute l’ambition de Candyman. Le film brasse tellement d’idées que son dernier acte, dans lequel certains arcs narratifs auraient pu être davantage étoffés, est presque un peu trop à absorber. Certaines mauvaises langues diront que tout le sous-texte du film se trouve dans quelques lignes de dialogues appuyées, alors que chaque plan de Candyman pourrait se valoir d’une analyse sur Horreur Québec. DaCosta traite habilement de ségrégation moderne et de ses racines invisibles. Voilà un film que l’on pourrait bien être encore en train de réinterpréter dans dix ans.


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Horreur Québec
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