Le sang, les cris, les ombres… le cinéma d’horreur, depuis ses débuts, joue avec nos nerfs. Mais dans un monde saturé d’images, de récits violents et de récits horrifiques, du journal télévisé à TikTok, l’horreur peut-elle encore surprendre? Peut-elle encore nous choquer, nous remuer, nous faire détourner le regard?
Pourquoi a-t-on peur? Et pourquoi continue-t-on à en redemander?
L’horreur n’est pas un genre comme les autres : il touche à l’instinctif, au viscéral. Il met en scène nos tabous, nos cauchemars, et ce que la société refoule. Mais au-delà de la peur, il y a aussi le désir de transgression, celui de vivre une émotion forte dans un cadre sécurisé. Comme l’écrit Noël Carroll (The Philosophy of Horror, 1990), l’horreur repose sur un paradoxe : nous sommes attirés par ce qui nous répugne.

« Et là, je ne fais pas peur moi? »
Ce rapport est profondément culturel. En Occident, on privilégie souvent une horreur psychologique ou sociale (Jordan Peele, Ari Aster) tandis qu’au Japon, en Corée ou en Indonésie, l’horreur se mêle aux croyances animistes, à la réincarnation et aux esprits vengeurs (Shutter, Ju-On, The Wailing, Satan’s Slaves). Ce qui terrifie un public peut laisser un autre totalement froid.
Alors pourquoi certains films marquent-ils plus que d’autres? C’est souvent une question d’ancrage culturel et d’angle universel.
Le succès de l’horreur : une question d’identification… ou d’altérité?
Un film comme Hereditary (2018) fonctionne non pas seulement parce qu’il fait peur, mais parce qu’il traite du deuil, du poids de l’héritage familial et de la folie, des thèmes universels traités de façon radicale. Get Out (2017) a choqué parce qu’il a utilisé les codes du genre pour dénoncer un racisme insidieux, rarement traité frontalement dans l’horreur mainstream américaine.
Mais ce phénomène n’est pas propre aux États-Unis. En Argentine, Aterrados (2017) surprend par sa mise en scène déroutante et son ambiance malsaine, abordant la disparition et l’intrusion de l’invisible. En Corée du Sud, The Wailing (2016) allie thriller, chamanisme et satire religieuse dans un chaos sensoriel qui déstabilise même les amateurs du genre. En France, Grave (2016) de Julia Ducournau a divisé, mais fasciné par sa proposition de body horror féministe et animale.

Moi, en voyant les prix de mes factures de ce mois.
Ce que ces films partagent, c’est leur capacité à créer une horreur organique, ancrée dans un contexte culturel, mais traitée avec une narration maîtrisée et des ruptures de ton. Ils ne font pas peur avec des ficelles, mais avec des visions.

Les nouvelles méthodes pour maintenir notre attention devant un film.
Le spectateur moderne : cynique, averti, mais encore vulnérable
Nous avons tous vu trop de films. Nous connaissons les codes. Le jump scare ne surprend plus. L’enfant démoniaque, le found footage, la malédiction familiale… tout a été fait. Et pourtant, certains films continuent de nous marquer, parfois à contre-courant des tendances. Pourquoi? Parce qu’ils détournent nos attentes.
Un film comme Barbarian (2022) commence comme un thriller psychologique, dérive vers l’horreur absurde, puis vers le grotesque. Speak No Evil (Danemark, 2022) nous prend au piège avec un malaise social presque bourgeois, et nous précipite dans l’horreur crue, sans jamais lever le ton. C’est l’inconfort progressif, pas le sursaut, qui nous saisit.
On pourrait parler de mutation du rapport à la peur. L’horreur ne surprend plus avec des « bouh », mais en déjouant le contrat. En nous laissant dans une incertitude morale (The Night House), en nous privant de résolution (Saint Maud) ou en imposant un rythme lent, hypnotique, contraire aux montages frénétiques (The VVitch, Skinamarink).
Une globalisation du genre, pour le meilleur?
Avec les plateformes de streaming comme Netflix, Shudder, Prime ou MUBI, l’horreur circule. On découvre des œuvres thaïlandaises, nigérianes (Juju Stories), mexicaines, saoudiennes… Le genre est un vecteur de soft power, mais aussi de représentation des peurs propres à chaque société : l’instabilité politique, le poids de la religion, les tabous de genre, la violence familiale.
Cela oblige aussi les productions occidentales à se renouveler, à sortir de la boucle infernale des remakes, à s’inspirer d’ailleurs ou à en subir la comparaison.

« J’ai dit, je veux des crêpes! »
Le facteur chaos : hasard, contexte et coups médiatiques
Parfois, ce qui fait le succès ou l’impact d’un film d’horreur échappe à toute logique artistique. Un film peut frapper juste parce qu’il sort au bon moment, au bon endroit, ou dans le mauvais, ce qui revient au même. La peur devient alors un effet de contexte. Paranormal Activity (2007) a bénéficié d’un bouche à oreille massif dans un climat où le home invasion et les vidéos domestiques avaient encore un parfum de réel. The Blair Witch Project (1999) doit autant à sa campagne marketing virale qu’à sa proposition formelle.
Plus récemment, le buzz autour de Terrifier 2 (2022), vendu comme un film qui faisait vomir les spectateurs, a attiré un public avide de tests émotionnels, davantage que de mise en scène. Idem pour Skinamarink, film expérimental au rythme presque contemplatif, devenu culte sur TikTok grâce à des extraits décontextualisés qui ont nourri un mythe autour de son étrangeté.
Le scandale ou l’énigme peuvent faire autant que la peur. Certains films deviennent viraux parce qu’ils polarisent, parce qu’ils créent une division. Le choc devient événement, puis phénomène. Et dans ce phénomène, la peur se dilue parfois au profit d’une consommation presque performative : qui tiendra jusqu’au bout? Qui a « compris » ? Qui ose regarder?


Quand la cheffe éditrice a vu que je pouvais écrire un truc sérieux.
Dans ces cas-là, ce n’est pas tant la peur qui surprend, mais la manière dont le film devient un objet social, un miroir ou un terrain de jeu collectif. L’horreur s’exporte alors au-delà de l’écran, dans les tweets, les threads Reddit, les vidéos réaction, les théories absurdes. Et là encore, elle mute.
Alors, peut-on encore être surpris?
Oui, mais plus comme avant.
L’horreur ne surprend plus par son intensité brute, sauf cas exceptionnels, mais par la manière dont elle se reconfigure, dont elle nous piège autrement, nous pousse à réfléchir après le malaise, ou à douter de ce qu’on a vu. Elle surprend aussi par sa diversité géographique, culturelle et formelle.
Il ne suffit plus de faire peur. Il faut désorienter, déranger, déplacer. L’horreur n’est pas morte : elle a juste appris à murmurer, à ralentir, à changer de peau.
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