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« Civilisés » : Patrick Senécal nous invite à bord d’une embarcation expérimentale avec son nouveau roman

La parution du nouveau roman Civilisés arrive à temps pour marquer les 30 ans de carrière de l’écrivain Patrick Senécal, dont les files d’attente ne cessent d’augmenter à chaque séance de dédicaces, où les échanges entre fanatiques semblent plus que jamais positivement endiablés.

À une époque où la lecture est parfois mise au rancard au profit des cellulaires, Senécal peut, certes, se féliciter d’avoir créé une communauté affamée. En 30 ans, l’auteur a engendré un corpus de romans non négligeables, ayant franchi les 1,5 million de ventes, et trois de ses romans ont été adaptés pour le grand écran. En ajoutant aussi la websérie La Reine rouge et Patrick Senécal présente diffusée sur Illico, le moins que l’on puisse dire, c’est que l’homme est très présent dans le paysage québécois.

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Civilisés raconte l’expérience vécu par douze candidats d’origines et de croyances différentes, qui devront évoluer quelques jours en milieux clos, en feignant être les survivants d’un accident.

Alors qu’il terminait sa dernière séance au Salon du livre de Trois-Rivières, Horreur Québec a eu la chance de parler avec lui.


Horreur Québec : Depuis Flots, on sent réellement que vous tentez de réinventer davantage votre style qu’auparavant, comme si vous aviez peur de vous répéter. Est-ce le cas?

Patrick Senécal : Je suis content que quelqu’un me dise ça, parce que c’est exactement le cas. Depuis Flots, j’essaie de relever des défis, soit au niveau de la narration ou des thématiques. Je veux sortir de ma zone de confort. Avec Flots, je proposais le journal intime d’une petite fille de huit ans et Résonances était carrément dans le métalittéraire. Avec Civilisés, il y a bien sûr de l’humour, ce que j’avais un peu fait par le passé, mais j’essaie de jouer avec la narration. C’est un roman où j’installe plus les choses. C’est très lent au début à démarrer, si on le compare à mes autres romans.

HQ : À un certain moment de sa carrière où il craignait la redite, Stephen King a décidé d’écrire certains romans avec un pseudonyme pour voir si les lecteurs·trices seraient quand même au rendez-vous. Pensez-vous en arriver là?

PS : Certains auteurs n’ont pas peur de se répéter et ils le devraient peut-être. Surtout quand on écrit des romans de genre. C’est tellement facile de répéter ses propres codes quand on les a trouvés. Le pseudonyme, je ne sais pas si je le ferais, parce que je ne peux me permettre comme King de l’essayer. C’est certain que je serais curieux de voir ce que ça donnerait, mais il faudrait à un certain moment que je le dise. Je veux que les gens le sachent que c’est moi qui écris ces histoires et qu’ils comprennent que j’essaie de nouvelles choses. Des fois, ça peut aider à les déstabiliser également. J’avoue que j’aimerais voir ce qui arriverait sans les attentes quand un roman paraîtrait. Autant chez mes lecteurs que chez les critiques. Romain Gary avait aussi fait ça en inventant Émile Ajar, mais je crois que je n’ai pas cette patience.

HQ : Vous êtes certainement conscient que Résonances en a déstabilisé plusieurs et a causé une sorte de commotion sur les réseaux sociaux. On peut encore lire de nombreux commentaires où certain·e·s demandent aux autres des explications parce qu’ils ne comprennent pas la fin.

PS : Je sais, et j’essaie souvent de les prévenir dans mes séances de dédicaces. Plusieurs l’ont compris du premier coup, ce qui m’a agréablement surpris, mais il faut parfois que je donne certains indices. C’est amusant.

HQ : Dans Civilisés, ce qui m’a frappé en premier lieu, c’est qu’il n’y a pas vraiment de personnage principal. C’est quand même un grand risque pour une histoire d’horreur dont les effets sont souvent causés par notre attachement aux héros.

PS : Je ne voulais pas que les gens sachent qui seraient les maillons forts du groupe. Par la force des choses, certains personnages vont s’imposer. Le méchant, entre guillemets, finit par s’imposer, mais sinon on ne sait pas qui sera le leader. C’est un peu comme le film Alien, où on s’imagine au départ que ce sera le commandant le personnage principal. Ripley s’impose ensuite, mais si on revoit le film, on comprend pourtant qu’on nous avait donné des pistes que ça allait être elle la vedette. Catherine, Laurence, Edouard, Charles-Émile ont peut-être plus de répliques, mais on ne sait pas qui va pouvoir s’en sortir. Il n’y a pas de personnage prédéfini comme principal, tu as raison. Je voulais que le lecteur se demande qui sera éliminé.

HQ : Pour les écrivain·e·s en devenir, il existe une tonne de livres expliquant comment écrire un récit et c’est un peu ce que fait Civilisées. Votre narrateur explique de A à Z comment écrire une histoire d’horreur.

PS : Je voulais souligner comment les histoires fonctionnent, mais aussi les clichés. Parfois, je relève moi-même les éléments forcés de mon intrigue. Il faut installer des rebondissements dans ce genre d’histoire, et je me suis amusé à rappeler aux lecteurs qu’ils arrivaient. C’était important de montrer comme on construit un récit, mais de montrer aussi qu’on a conscience du lecteur qui va le lire. D’une certaine manière, je démystifie aussi l’acte de lire un roman. Je souligne le contrat de lecture avec mon client.

HQ : Quand on étudie en littérature, on apprend que le narrateur n’est jamais véritablement l’auteur, mais si je me fie à votre roman et à ce que vous venez de me dire, vous vous percevez comme le narrateur de Civilisés.

PS : Je suis le narrateur par la force des choses. Un lecteur n’a pas à se demander si c’est l’auteur qui parle, mais je suis un peu le narrateur.

HQ : Dans chacun de vos romans, on ressent cette continuelle peur de la mort, et c’est aussi le cas ici aussi. Vos personnages travaillent pour ne pas se faire exclure de l’équation et leur sort est défini par la décision des autres.

PS : Je pensais que ça paraissait moins dans ce livre-ci, mais en y repensant, c’est vrai. J’ai peur de la mort et j’en ai clairement parlé dans Ceux de là-bas. On ne peut pas se trahir quand on écrit un roman. On en revient à ce que tu me disais pour le narrateur qui est l’auteur.

HQ : Sachant que vous êtes un grand cinéphile, je ne peux m’empêcher de vous dire que je trouve que vos thèmes et votre façon d’aborder la société se rapprochent depuis longtemps au cinéma de Ruben Östlund, mais impossible de ne pas faire un parallèle entre Triangle of Sadness et Civilisées, même si les deux demeurent très différents.

PS : Je vais te dire un secret et tu vas rire : j’ai eu l’idée du roman Civilisés en voyant la bande-annonce de Triangle of Sadness. J’ai vu le film par la suite, car je ne voulais faire la même chose. Comme tu le sais, les deux vont dans des directions différentes, mais c’est une observation juste. C’est tout à fait vrai que j’aime l’humour de ce cinéaste qui égratigne les privilégiés. Ceux qui croient qu’ils sont les rois du monde et qui font dur quand viennent les problèmes.

HQ : Je veux aussi vous parler de la série Patrick Senécal présente et j’aimerais savoir pourquoi on a opté pour des présentations très sérieuses de votre part, alors que votre style littéraire rempli d’humour noir aurait beaucoup mieux cadré avec le type de présentation qu’Hitchcock faisait et dont vous disiez vous inspirer.

PS : Le réalisateur voulait les présentations plus classiques, mais au début on voulait faire plus dans l’humour. Ça aurait bien marché, parce que certains épisodes sont carrément drôles. Au début, on voulait assumer complètement le côté Alfred Hitchcock présente, mais ça a changé en cours de route. C’est certainement aussi pour des questions de budget. On n’avait pas les moyens de refaire une différente mise en scène.

HQ : Quand on constate que le meilleur épisode est celui que vous avez réalisé, on se demande pourquoi vous ne passez pas derrière la caméra pour un long métrage. Vous aimeriez?

PS : J’étais en Cadillac avec mes acteurs pour mon épisode. J’écrirais une adaptation d’un autre de mes romans si c’était moi le réalisateur. Sinon, je ne le ferais plus pour d’autres cinéastes. J’aimerais réaliser un long métrage, mais je ne sais pas si un jour on va m’en confier un. Au Québec, c’est tellement difficile. On n’a pas cette culture-là ici. On tourne de l’horreur avec des moyens d’une émission de cuisine. La télévision de genre au Québec, c’est pas du tout gagné. On ne connait pas ça.

HQ : Allez-vous un jour créer un roman qui sera destiné exclusivement à Michelle Beaulieu? On dirait que vous repoussez le projet parce que vous craignez de devoir la tuer à la fin.

PS : C’est sûr que la fin de Flots me laisse croire que sa prochaine aventure sera avec Florence. Avec la fin de Flots, je crois annoncer un peu que Michelle Beaulieu ne sera pas l’invitée d’une autre histoire, mais mérite davantage d’avoir la sienne.

À chaque fois que j’écris un roman, Michelle surgit et s’invite dans les histoires. Peut-être que, comme tu dis, inconsciemment, je le retarde. Des fois, je me demande qui mourra en premier entre moi et Michelle. Je ne le sais pas encore.


Civilisé est maintenant disponible en librairie.

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