Après la claque Talk to Me, un retour attendu
En 2023, Talk to Me débarquait à Fantasia comme une claque viscérale : un film d’horreur nerveux, stylisé et désespérément humain. Porté par le duo inattendu des frères Danny et Michael Philippou, ce premier long avait su conjuguer tension brute et drame adolescent avec une maîtrise saisissante. Deux ans plus tard, Bring Her Back marque leur retour dans un climat tout aussi chargé; émotionnellement, sensoriellement; à nouveau propulsé dans le circuit québécois grâce au partenariat entre Entract Films et le Festival Fantasia.
Et cette fois, les Philippou plongent encore plus profondément dans l’intime.
Une tragédie surnaturelle en eaux troubles
Après la mort brutale de leur père, Andy (Billy Barratt) et sa demi-sœur malvoyante Piper (Sora Wong) sont envoyés vivre chez Laura (Sally Hawkins), une femme recluse, récemment endeuillée, qui vit dans une maison isolée avec un jeune garçon silencieux. Laura, toujours hantée par la perte de sa fille, développe une obsession troublante pour Piper. Peu à peu, Andy découvre que leur nouvelle tutrice s’adonne à des rituels occultes visant à ramener les morts — et que rien, ni personne, n’est à l’abri de ce que cela réveille.

Là où certains films d’horreur cherchent l’impact immédiat, Bring Her Back choisit l’infiltration. Fidèle à une tradition de récits sensoriels et psychologiques — à l’image de The Others, The Babadook ou A Tale of Two Sisters; le film déploie un climat dense, humide, où chaque image semble saturée de non-dits. La pluie, omniprésente, devient un langage à part entière : elle imprègne les lieux, alourdit les gestes, embue les repères. Tout semble baigner dans une tension moite, retenue, comme si le monde même refusait de sécher ou de cicatriser.
Plutôt qu’un crescendo, le récit se construit comme une lente dérive. Chaque plan glisse un peu plus vers l’inquiétude, chaque silence devient une faille. Le surnaturel n’éclate jamais franchement ; il s’infiltre, doucement, comme une idée obsédante. Le film opte pour une progression organique, presque sensoriel : ce n’est pas une histoire qu’on suit, c’est une atmosphère qu’on respire; parfois à contrecœur.
L’effroi, ici, ne vient pas de ce qui nous menace de l’extérieur, mais de ce que l’on porte en soi : le chagrin, le manque, la volonté destructrice de réparer l’irréparable. L’horreur se nourrit du déni, du besoin, de la solitude. Elle n’apparaît pas, elle s’enracine. Et c’est cette lenteur maîtrisée, cette tension suspendue, qui rend Bring Her Back si dérangeant et si marquant.

La peur, ici, vient de l’amour qui pourrit
La performance de Sally Hawkins donne au film son noyau émotionnel. Elle incarne Laura avec une justesse troublante : jamais hystérique, jamais attendue, mais toujours au bord de l’éclatement. Sa fragilité devient une force ambiguë, presque dangereuse. À travers elle, le film pose des questions sans réponse : jusqu’où peut-on aimer ? Et que reste-t-il de soi quand cet amour devient impossible à rendre ?
Avec Bring Her Back, les frères Philippou s’éloignent volontairement de l’effet-choc pour construire une œuvre de lente imprégnation. Comme The Witch ou Saint Maud, où l’horreur surgit du deuil, de la foi, de l’obsession. Ici, la peur ne frappe pas : elle s’installe, elle ronge, elle contamine. Ce n’est pas le surnaturel qui terrifie, mais ce qu’il révèle de nos attachements — surtout ceux qu’on refuse d’abandonner.
Ce n’est pas un film facile et ceux qui attendent un spectacle nerveux ou une terreur frontale pourraient rester à l’écart. Mais celles et ceux qui acceptent de s’y perdre, trouveront une œuvre dense, subtile, habitée par une tristesse viscérale. Un film qui explore notre rapport à la perte, à l’attachement, à ce qui nous hante; avec une précision presque chirurgicale.
Bring Her Back est une œuvre dense et profondément humaine, où l’horreur devient le miroir d’une douleur qui refuse de s’éteindre. Un film hanté, au sens le plus littéral du terme.