À écouter un certain discours défaitiste, il suffisait d’annuler la sortie d’une douzaine de blockbusters horrifiques (Halloween Kills, A Quiet Place Part II, The Conjuring 3, etc.) pour que l’année cinéma 2020 en soit une à oublier.
Je ne suis pas d’accord du tout. Shudder a connu une année exceptionnelle aux côtés de plusieurs autres streameurs, nos services de vidéo sur demande débordaient de petites perles cherchant à se faire valoir, et Fantasia s’est débrouillé pour nous offrir un grand moment de communion cinéphile durant une année où l’on regardait nos films en solitaire.
Personnellement, j’ai vu tant de bons films d’horreur en 2020 qu’un top 10 me semble un exercice cruel. Ce qui est aussi très cruel, ce sont les règles établies par mon patron Marc qui m’empêchent d’inclure certaines de mes plus belles découvertes de l’année puisqu’elles ont été projetées en festival antérieurement à 2020. Je les mentionne rapidement ici:
The Lodge, qui croise le théâtre de la cruauté allemand à une histoire de gaslight suffocante; The Wolf House, le film d’animation le plus effrayant depuis Perfect Blue de Satoshi Kon (sincèrement, vous n’êtes pas prêt.es); Zombi Child du cinéaste français Bertrand Bonello qui détourne les codes du genre pour nous parler de colonialisme; Bacurau, film d’exploitation brésilien en mode John Carpenter qui oppose un petit village à de riches maniaques menés par nul autre qu’Udo Kier; Scream, Queen!, un documentaire exceptionnel et riche en émotions qui se ne limite pas au verbiage geek.
Bref, parlant de verbiage… passons au plat principal:
10- #Alive de Il Cho
#Alive reconfirme le sens inné du divertissement que possède le cinéma coréen moderne. La mise en scène est maîtrisée au quart de tour, tout en demeurant au service de son sujet et en évitant le m’as-tu-vu. Ces qualités techniques contribuent à faire d’#Alive un blockbuster estival généreux et jouissif. Ce film de zombies enchaîne les péripéties périlleuses tout en possédant un coeur immense et en abordant des thèmes d’aliénation moderne, de solitude et de quarantaine. Il y a dans #Alive une sincérité presque naïve, qu’on ne trouve plus beaucoup dans le cinéma de notre continent et qui demeure pourtant si charmante.
9- His House de Remi Weekes
Remi Weekes s’empare de deux genres typiquement british, le drame kitchen sink et le film d’épouvante gothique, pour raconter l’histoire d’un couple d’immigrants qui cherchent à devenir citoyens anglais et laisser leur passé derrière eux. His House rejoint une mouvance récente de cinéma d’horreur social qui vise à représenter des expériences marginalisées grâce au vocabulaire du genre. Weekes fait preuve d’un talent indéniable pour matérialiser le purgatoire sans issue dans lequel sont coincés ses protagonistes.
8- The Invisible Man de Leigh Whannell
Leigh Whannell a longtemps été associé à son partenaire et ami James Wan. Et si on m’avait dit que Wan était le metteur en scène d’Invisible Man, j’y aurais cru tant le résultat est techniquement impressionnant. Rarement depuis Insidious avait-on eu droit à une telle collection de scènes d’horreur anthologiques, qui se succèdent dans un rythme déchaîné. Whannell vide son sac de tours, utilisant l’espace négatif à la manière d’un Paranormal Activity pour nous garder constamment sur le qui-vive et renouvelant sans cesse les confrontations spectaculaires avec l’homme invisible. Il y a toujours un risque que la protagoniste devienne figurante dans ce manège bien huilé, ce qui serait malheureux dans une histoire de violence conjugale, mais l’exceptionnelle Elisabeth Moss s’assure de composer un personnage mémorable. Si cette itération moderne de Gaslight fonctionne autant, c’est grâce à elle.
7- Hunted de Vincent Paronnaud
Vincent Paronnaud, connu pour le film d’animation Persepolis, collabore avec la scénariste Léa Pernollet afin de nous proposer une perspective déconstructionniste du slasher. Le duo retrouve les fondements primaires du genre et leur injecte une dose bienvenue de poésie, de folie et de métatextualité. Hunted surprend à tous les détours et verse dans un surréalisme complètement maîtrisé. Une fable moderne dont les explosions de violence font grincer des dents. Le film sera sur Shudder le 14 janvier 2021.
6- Spontaneous de Brian Duffield
Spontaneous est la toute première réalisation de Brian Duffield, à qui l’on doit aussi les scénarios de The Babysitter, Underwater et Love & Monsters. Lisez ce synopsis condensé: une pandémie d’explosions d’ados (oui) ravage une école secondaire et deux jeunes mis en quarantaine par le gouvernement développent des sentiments dans ce contexte où chaque minute pourrait être leur dernière. Si ça ne vous donne pas envie, je ne sais pas quoi ajouter. Ah, oui: 1) on y retrouve le nihilisme adolescent si populaire dans les années 90; 2) le scénario génial nous fait traverser toute la gamme des émotions humaines et on en ressort lessivé.e.s; 3) c’est vraiment plus gore et chaotique que vous ne le pensez. Un film qui ne pouvait pas savoir à quel point il allait devenir un visionnement parfait pour 2020.
5- Violation de Madeleine Sims-Fewer et Dusty Mancinelli
Ce Noël, ajoutez aux bûches qui crépitent dans la cheminée votre coffret I Spit on Your Grave. Madeleine Sims-Fewer crache sur la tombe d’une tradition médiocre de cinéma qui a longtemps été heureuse de se vautrer dans son male gaze. Réalisatrice, scénariste et comédienne principale de Violation, elle nous y vomit sa souffrance à la gueule comme une chanteuse noise. C’est une expérience incroyablement douloureuse et agressante… et il ne devrait pas en être autrement. Sims-Fewer livre avec une écriture sensible la perspective expressionniste, fragmentée et onirique d’une femme dont l’expérience et le ressenti demeurent le point focal du film. Rarement l’aspect invasif et la cyclicité infernale d’un traumatisme auront été aussi bien représentés. Si vous pouvez tolérer un tel sujet, Violation sera distribué sur Shudder en 2021.
4- La Llorona de Jayro Bustamante
Dans La Llorona du guatémaltèque Jayro Bustamante (que plusieurs confondent avec le médiocre spin-off de Conjuring), un dictateur déchu est en procès pour génocide. C’est le moment de rendre des comptes, et une foule de manifestants cernent sa maison. Pour la première fois, l’entourage du dictateur se remet en question: l’homme qu’ils supportent est-il coupable des crimes dont il est accusé? Le fantastique n’est pas une fin chez Bustamante; le cinéaste se sert plutôt du langage du film de fantômes ainsi que du folklore local pour matérialiser toute la douleur d’un peuple, enfouie depuis une génération sous la chape de plomb d’un révisionnisme étatique. Véritable poème visuel et sonore, d’une beauté à couper le souffle, La Llorona agit comme critique de ceux qui ont trop longtemps ignoré les cris de souffrance de leurs concitoyens par satisfaction à l’endroit du pouvoir en place. C’est une charge contre les individus qui contribuent passivement au maintien d’une structure politique basée sur la violence étatique, quitte à réarranger les faits pour vivre dans une réalité alternative.
3- Relic de Natalie Erika James
Dans le cinéma d’horreur, le corps des personnes âgées sert souvent une certaine esthétique du grotesque. La cinéaste Natalie Erika James tente d’éviter cette perspective déshumanisante avec son premier long-métrage. Elle signe certes un film sur l’horreur d’être témoin de la lente désagrégation d’un être cher, mais elle le fait avec une empathie que l’on croise rarement dans le genre. On retrouve dans son cinéma le même genre d’humanité que chez Flanagan ou Jennifer Kent. James propose dans Relic une exécution tout simplement saisissante, que ce soit dans la direction de ses trois actrices ou dans la mise en scène d’une maison hantée labyrinthique qui engloutit graduellement ses personnages. Un chef-d’oeuvre de cinéma gothique à l’ambiance éreintante.
2- She Dies Tomorrow de Amy Seimetz
La majorité des films parus en 2020 ont été produits sans savoir qu’une pandémie allait définir notre quotidien durant toute l’année. Pour cette raison, on a parfois l’impression que les oeuvres que l’on visionne sont un peu déconnectées de nos préoccupations actuelles. Ce n’est pas le cas de She Dies Tomorrow, qui tape en plein coeur du zeitgeist. Oui, le projet d’Amy Seimetz s’affirme comme un film d’horreur mumblegore absolument suffocant dont l’angle existentialiste rappelle le chef-d’oeuvre It Follows. Cependant, la cinéaste traite également de quête d’équilibre, d’apprendre à vivre en paix avec soi-même. She Dies Tomorrow n’est peut-être pas suffisamment horrifique pour plaire à tou.te.s les lecteur.rice.s de cet article, mais c’est LE grand film d’angoisse que 2020 aura produit.
1- Scare Me de Josh Ruben
Je ne sais pas ce que je préfère de Scare Me. Est-ce le fait qu’un film sur l’art de raconter parvienne à me river à mon siège pendant deux heures passées dans un seul décor, grâce à deux performances larger than life, un design sonore brillant et une écriture digne des meilleures comédies hollywoodiennes? Est-ce les liners à cent piastres d’Aya Cash, qui porte très bien son nom au demeurant? Est-ce cette critique cuisante de l’égo masculin? Est-ce la peur qui parvient à nous étreindre à travers des mots, une intonation, un débit? Ou est-ce simplement cet amour profond qu’a l’auteur pour l’art de créer des fictions d’horreur, contraire à tout le cynisme d’un The Cabin in the Woods? Je ne sais pas ce que je préfère de Scare Me, mais je sais qu’il s’agit d’une des meilleures comédies d’horreur que j’ai vu de ma vie.
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