![[Critique] « The Shrouds » : le deuil vu par Cronenberg 13 27X39 TheShrouds final](https://cdn.horreur.quebec/wp-content/uploads/2025/05/27X39_TheShrouds_final-311x450.jpg)
La bonne nouvelle, c’est qu’on n’a pas eu besoin d’attendre huit longues années pour un nouveau film écrit et réalisé par David Cronenberg. Surtout après Crimes of the Future (2022), son retour salué à la sci-fi mâtinée d’horreur corporelle, que nous avions eu la chance de voir pour vous, cher·e·s lecteur·trice·s. Et la mauvaise? Mmmmm… en fait, ce n’est pas si simple (comme toujours, lorsqu’on parle du plus grand réalisateur canadien, hein).
Annoncé dans la foulée de la promo de Crimes, The Shrouds (qui vient d’arriver en salles) a été principalement tourné à Toronto en 2023, avant d’être présenté en première mondiale l’année suivante à Cannes. Comme le Mulholland Drive de feu David Lynch, le long-métrage est né des cendres d’une série télé avortée (ici pour Netflix), après avoir été ressuscité par des investisseurs français.
Mais de quoi parle vraiment cette histoire de deuil, plantée dans une dystopie hyperconnectée?
Renommé producteur de vidéos industrielles, Karsh Relikh (Vincent Cassel) est aujourd’hui à la tête d’une entreprise de pompes funèbres post-modernes. Lorsque Grave Tech est la cible de vandales profanes, Karsh s’embarque dans une mystérieuse quête, où il déterrera toutes sortes de squelettes. Ce qui implique sa défunte épouse Becca (qui le hante toujours), la sœur jumelle de cette dernière (Diane Kruger dans les deux rôles) et son ex-beau-frère geek, Maury (Guy Pearce). Sans oublier une paire d’oncologues et cette intrigante et séduisante non-voyante nommée Soo-Min (Sandrine Holt). Réussira-t-il a dépêtrer cette vaste conspiration internationale (Canada, Islande, Russie, Chine, Hongrie), où espionnage industriel et tensions sexuelles persistantes se côtoient ?
Chargé, vous dites? C’est qu’en plus de puiser dans son vécu personnel, l’auteur a toujours aimé s’inspirer des préoccupations existentielles de l’humain d’aujourd’hui pour créer les dystopies de demain. Vous ne serez donc pas trop surpris qu’il soit question ici de vol de données personnelles, de cybermilitantisme et du lien qu’on entretient avec l’apparence de notre enveloppe corporelle.
D’emblée, on doit vous avertir : ce long-métrage rappelle étrangement les thrillers sexués de Verhoeven. Non pas qu’on ne reconnaisse pas la patte ni les thèmes chers au plus original et brillant cinéaste canadien. Loin de là. Nous reviennent en tête surtout Dead Ringers, Crash et même eXistenZ, mais aussi Hollow Man.
Ce qui fait tout de même plein de sens, puisque Cronenberg retrouve ici de fidèles complices : Howard Shore (compositeur) et Carol Spier (production designer), mais aussi ses producteurs de Map to the Stars : Saïd Ben Saïd (qui a bossé sur Elle et Benedetta de Verhoeven) et Martin Katz (son cinquième Cronenberg depuis Spider).
![[Critique] « The Shrouds » : le deuil vu par Cronenberg 15 TS 01018](https://cdn.horreur.quebec/wp-content/uploads/2025/05/TS_01018-677x450.jpg)
Esthétisme morbide
À noter que nous avons également à la production Anthony Vaccarello pour Saint Laurent, la nouvelle entité ciné du renommé designer de vêtements (à qui l’on doit notamment Lux Æterna de Gaspar Noé et La Passion selon Béatrice de Fabrice du Welz).
Car Cronenberg, c’est un grand penseur, mais aussi un authentique esthète, amoureux d’horreur anatomique, de design et d’art visuel de tout acabit, qu’il soit architectural, modesque, technologique (évidemment), et même gastronomique. En plus de la fine cuisine de son restaurant avec vue sur son austère cimetière, sa compagnie offre des lots sécurisés pour inhumer les êtres chers, une application mobile et des linceuls de designer issus de la haute couture. Bref, comme à l’accoutumée, tout est attaché, voire connecté et crypté (calembour assumé!).
D’ailleurs, au niveau techno, on y va à fond, façon Black Mirror, en mettant de l’avant moult appareils connectés usuels (caméras, tablettes, téléphones), l’intelligence artificielle (attendez de voir son assistante virtuelle), et même une automobile de chez Tesla (doit-on rappeler que le tournage a été bouclé bien avant que le proprio ne vire capot?).
De plus, impossible de ne pas faire de rapprochement avec le deuil qu’a vécu le réalisateur en 2017, lorsqu’il a perdu sa complice (et collaboratrice), son épouse Carolyn, la maman de deux de ses enfants (Brandon et Caitlin, qui, comme lui, réalisent aujourd’hui des films singuliers). Surtout avec Cassel en avatar de Cronenberg, coiffure incluse.
![[Critique] « The Shrouds » : le deuil vu par Cronenberg 17 TS 02836](https://cdn.horreur.quebec/wp-content/uploads/2025/05/TS_02836-677x450.jpg)
Oui, mais…
Là où le bât blesse, c’est principalement son rythme. Non que les sous-intrigues ne soient pas intéressantes. On s’en voudrait d’utiliser le mot ennuyant, même si l’on s’est surpris à regarder plusieurs fois combien de temps il restait.
Et si nous avions plutôt eu droit à ce projet de série qu’il s’était initialement promis? On ne le saura jamais, alors autant apprécier ce dernier film de Cronenberg pour ce qu’il est : une méditation sur le deuil, sur fond de thriller aussi lancinant que sexuel, mâtiné d’une étrangeté technorganique (on vient de l’inventer).
En fouillant un peu pour lui chercher d’autres poux, on pourrait aussi mentionner que certaines performances détonnent (quelques personnages secondaires, fort heureusement), et que les effets spéciaux numériques laissent parfois à désirer (c’était d’ailleurs aussi le cas sur Crimes…).
Saluons au passage la distribution, alors que Cassel et Kruger se donnent corps et âme pour insuffler vie à ce récit empreint de la fascination qu’on entretient pour la mort, exprimée ici à travers une certaine pornographie de la décomposition.
Ou serait-ce de la nécrophilie platonique?
À vous de juger, si vous osez pénétrer à nouveau dans l’interzone, là où règnent obsessions, expérimentations, liaisons, trahisons et autres perversions parfois poétiques, sur fond de critique de la religion, mensonges et conspirations paranoïaques.
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