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« I, THE PEOPLE » : entrevue avec la bédéiste Natacha Novem

Aborder la tension entre les régimes parlementaires et la démocratie directe, c’est ce que propose la bande dessinée dystopique I, THE PEOPLE de Natacha Novem. Un sujet politique qui peut sembler aride à première vue, mais qui est traité avec un ton définitivement punk et un humour noir qui fait mouche. Preuve de sa qualité, cette œuvre de science-fiction s’est vue décerner le 22 mai dernier le prix Bédélys de la meilleure BD indépendante anglophone dans le cadre du Festival BD de Montréal (FBDM).

Eh oui, c’est à compte d’auteur que la bédéiste Natacha Novem a publié sa première bande dessinée. L’autrice avait déjà fait paraître des BD sous la forme de zines ou sur le Web, mais c’est la première fois qu’elle propose une publication aussi longue (143 pages).

En entrevue autour d’un verre de kombucha au café Atomic dans Hochelaga, Natacha Novem explique qu’elle a tenté de trouver un éditeur, mais sans succès. « Ça ne s’est pas concrétisé. J’ai quand même appliqué à sept ou huit éditeurs », précise-t-elle, mais plusieurs lui ont répondu que cela ne correspondait pas à leur ligne éditoriale. N’empêche, elle a reçu des commentaires positifs et certains l’ont encouragée à publier sa BD à l’aide d’un sociofinancement.

Il était une fois un monde où l’humanité n’existe plus

I, THE PEOPLE se déroule sur la planète Sphaera-4 près de 1000 ans après la fin de l’humanité. Plusieurs espèces, dont des êtres artificiels, y cohabitent et le système politique fonctionne selon un principe de démocratie directe radicale. Chaque jour, les citoyennes et les citoyens sont appelés à se prononcer sur de nouvelles lois par un vote en ligne. Ainsi, ce qui était légal la veille devient illégal le lendemain, et vice-versa, provoquant une certaine anarchie.
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L’une de ces nouvelles lois adoptées exige que l’État crée de nouvelles citoyennes et de nouveaux citoyens à partir d’espèces disparues, mais un ADN prohibé est utilisé lors du Lot 250066 : de l’ADN humain. La nouvelle fait scandale et des émeutes éclatent un peu partout. Finalement, sur les 20 humains créés, seuls trois ne sont pas détruits.

Une grave erreur, car l’un d’entre eux, Ursulis, ramène une forme de démocratie représentative pour apporter une certaine stabilité politique sur la planète, Mais sans grand succès: ce nouveau régime sombre rapidement dans l’autoritarisme.

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Transitionner vers un monde meilleur

Dans sa biographie, qu’on peut lire sur le site du FBDM, Natacha Novem explique que c’est en « voulant aller à l’encontre du cliché des politicien.nes qui veulent abolir les personnes trans » qu’elle a créé « une société libérée de ces créatures parlementaires » qui sert de toile de fond pour sa bande dessinée I, THE PEOPLE. Étant elle-même une personne trans « genderqueer », elle a été troublée par les propos de certains hommes politiques concernant la transidentité et la non-binarité.

Les personnes trans, on transitionne vers une version meilleure de nous-mêmes et je pense que nos systèmes gouvernementaux pourraient transitionner sur une version qui est plus représentative de la population. Qui serait plus à l’écoute de ce que les gens vivent, de ce que les gens veulent, explique-t-elle.

Natacha trouve que la population n’est pas suffisamment consultée et regrette qu’on lui impose trop souvent des décisions politiques.

Natacha Novem

Partant de ces réflexions et de son souhait que la société opte pour une « démocratie digitale », elle était curieuse de voir à quoi cela pourrait ressembler si ce changement politique dérapait et allait trop loin. C’est ainsi qu’est né I, THE PEOPLE.

À la fin de la BD, Natacha propose une gradation politique de plusieurs niveaux allant de la monarchie absolue à une démocratie numérique totalement anarchique. Pour elle, le niveau souhaitable serait celui de la démocratie directe à l’image de certains pays d’Europe qui consultent régulièrement la population par voie référendaire.

Le rôle des politiciennes et des politiciens dans tout ça?

J’aimerais que le rôle des politiciens soit un peu diminué pour qu’ils deviennent plus des modérateurs de débat que des gens qui imposent leur vision, précise-t-elle.

Ce qui la dérange, c’est que ce soient les mêmes personnes qui proposent les projets de loi et qui les adoptent.

Une sci-fi plus européenne qu’américaine

Au risque de se répéter, au-delà de cette réflexion politique, I, THE PEOPLE est franchement drôle. Le monde dystopique et anarchique proposé par Natacha Novem fait indéniablement penser à l’univers de Judge Dredd. Natacha ne conteste pas cette référence, mais elle soutient que c’est la série de bandes dessinées L’Incal d’Alejandro Jodorowsky et Mœbius qui a été une grande influence.

J’ai tout le temps été maniaque de science-fiction. Tout ce que je peux mettre la main dessus, je le dévore, ajoute-t-elle.

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Lorsqu’on l’interroge à savoir si le type de science-fiction qu’elle propose n’est-elle pas d’ailleurs plus présente du côté européen en BD que du côté américain, elle se dit plutôt d’accord.

Les bandes dessinées américaines sont plus individualistes, considère-t-elle. C’est beaucoup axé sur soi-même. Tu vas avoir un personnage de super-héros avec une histoire personnelle très compliquée, un costume super compliqué, le personnage prend un grand espace sur les planches. Tandis que les bandes dessinées européennes sont plus axées sur la société. Le monde et la culture sont beaucoup plus développés. 

Une description qui sied bien au récit sans compromis et au sous-texte riche en réflexions de I, THE PEOPLE.

Et pour la suite?

Le 7 et le 8 juin prochains, Natacha Novem sera au Toronto Comic Arts Festival où elle aura une table pour faire la promotion de son travail. Plus près de nous, elle participera avec une quinzaine d’artistes à la foire BD Schloop! qui se tiendra à Montréal, au café Atomic, le 13 et 14 juin.

Sinon, si vous souhaitez vous procurer sa bande dessinée I, THE PEOPLE, elle est actuellement disponible chez Crossover Comics et Librairie Z.

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