Premier long métrage de la réalisatrice norvégienne Emilie Blichfeldt, The Ugly Stepsister propose une relecture aussi audacieuse que viscérale du conte de Cendrillon. Exit les carrosses dorés et les souris qui chantent : ici, la beauté se conquiert au prix de la douleur, des chairs lacérées et des sacrifices sanglants. Transposée dans une esthétique vénéneuse, inspirée du XVIIIe siècle, l’histoire revisite la cruauté originelle du mythe, et interroge les normes de beauté comme autant de rites de mutilation moderne.
Elvira (interprétée par une impressionnante Lea Myren) ne rêve que d’une chose : plaire au prince et accéder à la vie rêvée que lui refuse la réalité. Coincée dans l’ombre de sa demi-sœur Agnes (Thea Sofie Loch Næss), à la fois belle et lucide, Elvira se lance tête baissée dans une transformation physique qui tient du supplice; encouragée par une mère (Ane Dahl Torp) plus pragmatique que cruelle, bien décidée à monnayer la beauté de sa fille pour éponger leurs dettes.
![[Critique] « The Ugly Stepsister » : il faut souffrir pour être belle 13 MV5BZDAyZDdjZGEtNmZkZC00NzZiLWJhMmEtMDQ2NTVjMGFiNjg1XkEyXkFqcGc@. V1](https://cdn.horreur.quebec/wp-content/uploads/2025/05/MV5BZDAyZDdjZGEtNmZkZC00NzZiLWJhMmEtMDQ2NTVjMGFiNjg1XkEyXkFqcGc@._V1_-307x450.jpg)
Ce qui frappe d’abord, c’est la cohérence visuelle de l’œuvre. Inspirée par le cinéma de l’Europe de l’Est des années 60-70, la direction artistique déploie un univers vénéneux, entre onirisme et putréfaction. Emilie Blichfeldt puise autant chez Cronenberg que chez Argento ou Julia Ducournau pour façonner un conte macabre où le body horror devient métaphore des injonctions faites au corps féminin. Le royaume, tout en textures crasseuses, en éclairages lugubres et en décors fanés, ressemble à un cadavre en robe de bal. Dès le générique, la décrépitude s’impose comme langue visuelle.
Mais The Ugly Stepsister ne se contente pas d’être un exercice de style. Sous ses airs de fable pervertie, le film interroge frontalement l’héritage de la beauté féminine comme valeur d’échange. Chaque acte chirurgical, chaque pansement arraché, chaque cri étouffé dans l’ombre du palais rappelle au spectateur que le corps des femmes a toujours été un champ de bataille.
Blichfeldt filme sans détour, souvent en très gros plans, des scènes chirurgicales qui évoquent autant les pratiques médicinales victoriennes que les standards de beauté contemporains. On pense parfois à The Substance, autre film récent sur les violences infligées au corps féminin pour le conformer à l’idéal. Mais là où The Substance optait pour la satire, The Ugly Stepsister adopte une approche plus brute et charnelle, tout en conservant une ambiance de conte de fées vaporeux.
![[Critique] « The Ugly Stepsister » : il faut souffrir pour être belle 15 The Ugly Stepsister Still 3 Credit Marcel Zyskind.jpg](https://cdn.horreur.quebec/wp-content/uploads/2025/05/The-Ugly-Stepsister-Still-3-Credit-Marcel-Zyskind.jpg-750x422.jpg)
La force du film réside aussi dans sa capacité à nuancer ses personnages. Elvira n’est ni héroïne ni monstre, seulement une jeune fille naïve, prête à tout pour atteindre un rêve qui ne lui appartient peut-être même pas. Sa mère, loin de la marâtre caricaturale, est une survivante du système, prête à vendre ce qu’elle peut pour ne pas sombrer. Agnes, enfin, devient malgré elle la spectatrice impuissante d’un drame dont elle est l’enjeu.
Si certains vous diront peut-être que The Ugly Stepsister souffre de quelques lenteurs ou d’une fin abrupte, c’est peut-être qu’ils attendaient une version plus conforme aux standards contemporains. Mais ce n’est pas une question de rythme ou de structure. C’est une attente plus profonde : celle de voir enfin autre chose que la version aseptisée popularisée par Disney. Avant les robes bleues et les chansons, il y avait les frères Grimm et leur vision sanglante, tordue, profondément humaine.
Emilie Blichfeldt ne réinvente pas ce conte : elle le ressuscite, dans toute sa brutalité. Un conte cruel, hypnotique et nécessaire, qui rappelle que sous les paillettes des princesses se cache souvent un puits sans fond de souffrance.
Un film à ne pas manquer, surtout si vous appréciez les contes de fées revisités avec intensité; là où le sang remplace la magie, la sueur remplace l’innocence, et les miroirs ne reflètent plus que des vérités brisées.
![[Critique] « The Ugly Stepsister » : il faut souffrir pour être belle 17 The Ugly Stepsister Still 2 Credit Marcel Zyskind](https://cdn.horreur.quebec/wp-content/uploads/2025/05/The-Ugly-Stepsister-Still-2-Credit-Marcel-Zyskind--750x422.jpg)
The Ugly Stepsister est disponible dès maintenant sur la plateforme Shudder.
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.